Une fois par an, le boisé du Tremblay est le théâtre d’un moment magique. Il se produit un soir, entre le 25 mars et le 5 avril. Pour en être les témoins, il suffit de traîner dehors à la tombée de la nuit, à la lisière du bois. Ça commence par un sentiment, celui que quelque chose a changé, une différence subtile, à la limite de la conscience. Quelque chose d'indéfinissable et pourtant, après les quelques secondes nécessaires pour s'accorder au sauvage, on réalise. La nuit habituellement silencieuse de hiver, ne l’est plus. Elle s'est soudainement remplie d’un son continu, omniprésent, comme un souffle.
Ce souffle qui émane du bois au début d'avril, c'est celui qui marque son réveil après l'hiver. C'est celui du chœur des centaines de grenouilles, voire des milliers, qui viennent, par un synchronisme dont elles seules ont le secret, de sortir de leur hibernation et de se mettre à chanter.
Les premières à émerger de leur torpeur hivernale sont généralement les Rainettes crucifères. Elles commencent parfois à chanter dès le mois de mars dans le sud du Québec, de la fin de l’après-midi jusqu’à tard dans la nuit. Leur sifflement, en deux notes répétées inlassablement, est assourdissant pour celui qui se trouve à proximité. Les rainettes, dont il existe quatre espèces au Québec (la versicolore, la crucifère, la faux-grillon de l’ouest et la faux-grillon boréale) ont toutes la particularité d’avoir des ventouses au bout des doigts qui leur permettent de grimper sur les surfaces verticales et de se réfugier dans les arbres ou les arbustes.
Au printemps, le chant des rainettes crucifères est vite suivi par celui des grenouilles des bois et des rainettes faux-grillons, qui vocalisent indistinctement le jour et la nuit. Dans le cas de la faux-grillon, bien malin celui qui pourrait dire s’il s’agit de celle de l’ouest ou de la boréale tant les deux espèces et leur chant se ressemblent. Peu importe, car les deux sont rares et protégées. Leur présence, à elle seule, justifie de prendre soin du boisé. Pour reconnaître le chant des faux-grillons, c’est facile : il ressemble au frottement d’un doigt sur les dents d’un peigne.
Il n’y a pas que des rainettes dans le boisé du Tremblay. On y trouve d’autres espèces de grenouilles. D’ailleurs, on ne devrait pas parler de grenouilles mais plutôt d’anoures, qui est le nom scientifique pour désigner le groupe des grenouilles, des rainettes et des crapauds. Au Québec, il existe onze espèces d’anoures. Parmi celles-ci, on compte le crapaud d’Amérique, seul représentant de sa famille (les bufonidés), les quatre rainettes qui appartiennent à la famille des hylidés et les six vraies grenouilles (famille des ranidés) qui sont la grenouille des bois, la grenouille léopard, la grenouille des marais, la grenouille verte, la grenouille du nord et le ouaouaron. De ces onze espèces, six, au moins, vivent dans le boisé du Tremblay ou à ses alentours. Aux détours d’un chemin, vous pourriez très bien croiser le crapaud d’Amérique ou la grenouille des bois car ces deux-là aiment « courir » les bois. Vous pourriez aussi rencontrer la grenouille léopard ou la grenouille verte, mais il vaut mieux chercher une étendue d’eau ou sa proximité. Si toutes les espèces d'anoures fréquentent les milieux humides et utilise les nappes d’eau, parfois temporaires, pour pondre leur œufs, beaucoup s’en écartent le restant de l’année. C’est le cas du crapaud, des rainettes, de la Grenouille des bois et, dans une moindre mesure, de la Grenouille léopard, qui ne s'en éloigne jamais trop. En hiver, les rainettes, le crapaud et la Grenouille des bois préfèrent s’enfouir sous les feuilles mortes; les autres le passent au fond de l’eau. Si vous avez la chance d’habiter en bordure du bois, ou si vous passez en voiture un soir d’avril sur le chemin du Tremblay, en particulier entre les dernières maisons et la zone industrielle, arrêtez-vous au bord la route, coupez le moteur, ouvrez la fenêtre et laissez vous bercer par le chant des grenouilles. Pour en savoir plus: Amphibiens et retiles du Québec et des maritimes, par Jean-François Desroches et David Rodrigue, aux Éditions Michel Quintin. Pour apprendre à reconnaître le chant des grenouilles: http://www.naturama.ca/fr/zone_nature/profile/index.html#amphib |
Superbe document ! A le lire, il nous semble entendre les grenouilles chanter comme des sirènes, irrésistibles. Pas étonnant que de temps en temps, elles se transforment en prince charmant !
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