Le parc national de la Gaspésie a été créé en 1937 pour préserver les paysages et la faune des monts Chic-chocs, une fonction qui n'est vraiment devenue effective qu'au début des années 80. Dans l'intervalle, l'exploitation forestière à outrance sous un climat et à une altitude qui retardent la régénération de la forêt est venue à bout du refuge du caribous des bois. La destruction de son habitat, la chasse, la mise en place d'un nouvel écosystème favorisant ses prédateurs (l'ours et le coyote) et ses concurrents (le cerf de Virginie et l'orignal) ont acculé au bord du gouffre, les derniers représentants de ces cervidés au sud du Saint-Laurent. Il n'en reste plus que 150 environ.
Au cœur du parc, devant le gîte du Mont-Albert, un bloc erratique a été élevé au rang d’œuvre d'art. On peut y lire cette épitaphe... |
Vu du mont Xalibu, rien ne semble pouvoir perturber ce paysage figé dans le roc, à l'exception des ombres mouvantes des nuages et des couleurs changeantes des saisons. Et pourtant...
Il y a 540 millions d'années ces sommets faisaient le fond de Iapéthus, un océan tropical. Leur érection fut le résultat d'une série de collisions entre le continent Laurentia et les continents Avalonia d'abord, Baltica et Gondwhana ensuite. L'accrétion de ces continents commença 450 millions d'années auparavant et se termina il y a 300 millions d'années avec la création de Pangée. Depuis, la chaîne des Appalaches, soumise au raclement des glaces et au ruissellement des eaux, n'a cessé de s'éroder.
La flore et la faune, telles que les tout premiers colons européens les ont connues, commencèrent à s'implanter il y a 13000 ans, à la suite du retrait des derniers glaciers (voir l'encadré à la fin du billet). Aujourd'hui, si les espèces végétales et animales sont plus ou moins les mêmes que celles que nos ancêtres baptisèrent, leur équilibre a été radicalement modifié par la révolution industrielle et les 175 dernières années d'occupation du territoire.
Les montagnes ne sont jamais bien hautes dans les Appalaches; le point culminant de la Gaspésie ne dépasse pas 1270 mètres. Mais, comme se plaisent à le répéter les guides touristiques, chaque mètre grimpé à cette latitude équivaut à parcourir un kilomètre vers le nord et en quelques heures de randonnée, on passe de la sapinière à bouleau blanc (entre 300 et 600 m) à la sapinière à épinette (entre 600 et 700 m), puis à la toundra alpine.
Au fond des vallées creusées par les rivières à saumon, les sapins baumiers sont avares de leur lumière et le marcheur doit se tailler un chemin dans leur ombre. De temps à autre, un bouleau blanc, un érable rouge ou une colonie de thuyas de l'Ouest parvient à rompre l'ennuyeuse pureté du peuplement.
Plus haut, la lumière n'est plus un problème. C'est la température aidée par le vent qui dicte sa loi, obligeant la végétation à s'y soumettre ou à périr. Dans la zone de transition, l'étage subalpin et alpin, les arbres se font tout petits et l'épinette se substitue au sapin. Au sommet, ils n'ont même plus le droit de cité. Ici c'est le domaine de l'arbuste nain, de l'herbe rase et du lichen.
Rien n'a vraiment changé depuis le retrait des glaciers, il y a environ 13000 ans. Seuls le réchauffement climatique et quelques promeneurs peu scrupuleux qui sortent des sentiers malgré les mises en garde, menacent la toundra et les plantes rares qu'elle abrite; certaines ne se trouvant que loin ailleurs dans les Rocheuses ou en Arctique
Quatre-vingt quinze pour cent du territoire gaspésien est boisé, mais il ne faut pas se leurrer: la jolie mosaïque de verts que l'on peut contempler à partir des sommets a été dessinée en grande partie par les bûcherons et les incendies d'origine humaine dans 97 % des cas.
Aujourd'hui, dix-sept pour cent des arbres seulement ont 90 ans et plus - les deux tiers en ont 50 et moins - et on doit le vert tendre des paysages à la repousse de feuillus opportunistes et intolérants à l'ombre comme le peuplier faux-tremble, les bouleaux et les érables. À une autre époque, avant la révolution industrielle, c'est le vert foncé des résineux qui dominait le paysage. Depuis, la population de peuplier faux-tremble a augmenté de 70 % tandis que celles du pin blanc et de l'épinette diminuaient respectivement de plus de 70 % et de plus de 30 %. Les seules populations de résineux qui ont été épargnées par la coupe sont celles qui poussaient sur des pentes inaccessibles aux machines.
Sur le mont Ernest-Laforce, moins haut que ses voisins, il y a déjà eu des arbres, une cinquantaine d'années auparavant. Aujourd'hui, on n'y rencontre plus que des fantômes et des monstres torturés par les intempéries et les orignaux. Ce spectacle étrange n'est pas dénué de charme et puisqu'on ne peut plus rien y faire, autant s’attarder à la beauté des lieux, aux couleurs et à la luxuriance des prairies qui profitent de cette nouvelle lumière.
Dommage que les envies de quelques unes nuisent à l'harmonie des lieux et gâchent le plaisir des autres ! Peut-être faudrait-il leur expliquer qu'il y a d'autres façons de faire que d'abandonner leurs mouchoirs en papier.
En redescendant sous le couvert forestier, il n'est pas improbable de rencontrer un orignal ou deux; ils sont nombreux en Gaspésie. Pour cela, mieux vaut être attentif, car cet animal solitaire est extrêmement furtif malgré sa taille imposante.
Extrait de: Portrait forestier historique de la Gaspésie. Pinna S., Malenfant A., Côté B. et Hébert M. Consortium en Foresterie Gaspésie-Les-îles (2009). RECONSTITUTION POSTGLACIAIRE DE LA VÉGÉTATION Bien avant que ne débute l’utilisation de la forêt gaspésienne par l’homme, celle-ci a dû prendre place à la suite du retrait des glaciers il y a environ 13000 ans BP (Richard et al., 1997). Les reconstitutions paléophytogéographiques, réalisées par le biais d’analyses stratigraphiques et paléobotaniques (pollen et macrorestes végétaux), montrent que l’évolution postglaciaire de la végétation pour l’ensemble de la Gaspésie se serait déroulée en trois grandes étapes : une phase non arboréenne, une phase d’afforestion et finalement une phase forestière (Asnong, 2000). PHASE NON ARBORÉENNE La première zone à avoir subi le retrait des glaces serait la partie nord de la Gaspésie. Une végétation de toundra herbacée et de toundra arbustive s’y serait alors installée il y a 13000 ans BP (Marcoux et Richard, 1995). Un petit glacier aurait persisté au centre de la péninsule gaspésienne il y a 9500 ans BP (Richard et al., 1997). Entre 9500 et 8000 ans BP, la glace se serait complètement retirée de la péninsule. PHASE D’AFFORESTATION Comme pour l’ensemble du Québec, les premiers arbres à avoir colonisé les terres gaspésiennes seraient le peuplier faux-tremble et l’épinette noire (Richard, 1989). Ces espèces auraient été accompagnées du bouleau blanc, du mélèze laricin et en plus faible abondance du sapin baumier (Asnong, 2000). Cette afforestation semble avoir débutée dès 12300 BP sur la côte septentrionale et vers 11500 BP dans la Baie des Chaleurs. L’afforestation aurait été interrompue par une recrudescence majeure de l’aulne crispé à l’Holocène inférieur (Labelle et Richard, 1984; Richard et Labelle, 1989; Jetté et Richard, 1992; Marcoux et Richard, 1995), attribuée, entre autres, à des feux plus fréquents accompagnés de conditions climatiques plus froides (Richard et Labelle, 1989; Jetté et Richard, 1992) et à des brouillards maritimes nettement plus abondants (Marcoux et Richard, 1995). L’aulne crispé aurait donc joué un rôle important dans la constitution des forêts au début de l’Holocène. Sur le plateau tout comme dans la vallée du mont Saint-Pierre ainsi que dans la région du mont Albert, des pessières ouvertes auraient dominé durant toute la phase d’afforestation. PHASE FORESTIÈRE Vers 10200 BP, l’expansion des arbres aurait entraîné une fermeture de la forêt et la constitution des sapinières régionales (Richard, 1989 dans Asnong, 2000). Il y a 8000 ans, les pessières noires gaspésiennes auraient été progressivement remplacées par la sapinière à bouleau blanc alors que des îlots de toundra auraient persisté sur les hauts plateaux. Au cours de cette phase, plusieurs taxons thermophiles auraient migré en Gaspésie, tant sur la côte septentrionale que méridionale, venant ainsi s’ajouter aux autres taxons déjà présents (Labelle et Richard, 1984; Jetté et Richard, 1992; Marcoux et Richard, 1995). Les principaux seraient le bouleau jaune, le pin blanc et l’érable à sucre. Dans certains sites, principalement ceux situés dans les vallées, ces taxons de climat tempéré auraient été accompagnés de l’orme d’Amérique, du frêne noir et de l’érable rouge. Dans la vallée du mont Saint-Pierre, le bouleau jaune aurait été présent dès 10200 ans BP. Ailleurs, il se serait installé plus tard, soit vers 7650 ans BP dans l’est de la péninsule et vers 6700 ans BP dans la Baie des Chaleurs (Jetté et Richard, 1992). Le pin blanc se serait implanté dans la vallée du mont Saint-Pierre et dans la Baie des Chaleurs aux environs de 7800 ans BP et n’aurait été présent sur le plateau gaspésien en compagnie du bouleau jaune qu’entre 7425 et 6300 ans BP. Parmi les autres taxons thermophiles qui se seraient implantés en Gaspésie, notons le hêtre à grandes feuilles et le chêne rouge qui auraient été présents dans la Baie des Chaleurs entre 7800 et 4430 BP (Jetté et Richard, 1992). Le frêne d’Amérique, le frêne de Pennsylvanie, le caryer ovale, la pruche du Canada et le châtaignier d’Amérique auraient également atteint la région 1 (Jetté et Richard, 1992). Par contre, aucun taxon thermophile n’aurait immigré dans le secteur du mont Albert (Richard et Labelle, 1989). La colonisation des terres gaspésiennes par ces taxons se serait limitée aux zones côtières en marge de la péninsule. Malgré la migration de taxons thermophiles durant la phase forestière, le bouleau blanc et l’épinette noire seraient demeurés présents et abondants pour l’ensemble des sites. Il y a 6000 ans, le bouleau blanc aurait pris de l’importance dans la région. Le pin blanc aurait quant à lui atteint son maximum d’abondance il y a 4000 ans et un déclin des taxons thermophiles et du bouleau blanc serait survenu depuis cette période en raison du refroidissement climatique néo-glaciaire (Labelle et Richard, 1984; Richard et Labelle, 1989; Jetté et Richard, 1992). Le thuya occidental aurait probablement atteint son abondance maximale durant les derniers millénaires (Jetté et Richard, 1992). La végétation serait demeurée relativement stable au cours des deux derniers millénaires avant la colonisation (Côté et al., 2008). |
Seulement 2 jours en Gaspésie pour nous et vous traduisez bien le sentiment diffus perçu lors de nos quelques randonnées...sites magnifiques mais qui devaient l'être bien plus encore il y a quelques années, avant l'exploitation forestière à outrance. Merci d'ailleurs à Patrick, guide Sepaq qui nous bien fait toucher du doigt cette réalité. Benoit
RépondreEffacerMerci pour votre commentaire. J'espère que votre séjour en Gaspésie a été agréable et que vous avez pu faire quelques belles observations de la faune locale.
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