Un des derniers sauvages


La photo n'est pas belle, la plante n'a rien de spectaculaire et pourtant, sa découverte dans un sous-bois de la grande région de Montréal a exaucé un de mes souhaits les plus improbables: trouver un plant sauvage de Ginseng d'Amérique (Panax quinquefolius).
Il faut préciser que la plante est rare. Si rare qu'au Canada, sa récolte est interdite et que sa possession doit être justifiée par une preuve de son origine commerciale, sous-entendue cultivée.
Pour donner un ordre d'idée, on estimait qu'en 2000, il ne restait que 54 populations viables de ginseng au Québec et 9 en Ontario, les seules provinces faisant partie de son aire de distribution. Heureusement, ces dernières ne représentent qu'environ 1 % de la population mondiale, le reste se trouvant dans l'est des États-Unis. Malheureusement, chez nos voisins du sud, sa récolte est réglementée, mais autorisée. Quand on sait que 94 % des prélèvements sont faits en dehors des saisons ou des zones autorisées, on comprend pourquoi le statut de l'espèce n'est pas meilleur qu'ici. 
Il y a plusieurs causes à la disparition du Ginseng d'Amérique. Celle que l'on aime bien mettre de l'avant est le broutage par les cerfs. C'est pourtant la moins importante et on est bien obligé d'en venir aux deux autres: la fragmentation de l'habitat et la récolte intensive. Voici quelques chiffres évocateurs du désastre: en 1752, l'Amérique exportait 15685 kg de racines de ginseng, 290000 kg (65 millions de plants) en 1841 et 125 millions de plants en 2000 (seulement pour les États-Unis). 
Le ginseng doit sa popularité aux vertus médicinales de sa racine, particulièrement appréciées en Chine. Là-bas, on utilise depuis longtemps le Panax ginseng, une espèce locale qui est cultivée depuis qu'elle a quasiment disparu à l'état sauvage dans les années 1400. Lorsqu'en 1716, le jésuite Joseph-François Lafiteau publie son mémoire sur le ginseng américain dont il a appris les vertus des Mohawks, les commerçants occidentaux flairent rapidement les profits à tirer de ce produit déjà devenu rare et coûteux en Extrême-Orient. Aujourd'hui, bien que l'on sache très bien cultiver le ginseng, la valeur symbolique et économique que l'on attribue à la plante sauvage fait en sorte que l'espèce continue à disparaître. 

Sources:
The world ginseng market and the ginseng (Korea). Journal of Ginseng Research. 37(1), 1-7. 2013
An Overview of American Ginseng through the Lens of Healing, Conservation and Trade. Margaret Wulfsberg. Lawrence University Honors Projects. 147.