Dans le nord du Querétaro (Mexique), se trouve Jalpan de Serra, une petite ville de 22000 habitants nichée au cœur du massif montagneux de la Sierra Gorda. De Mexico, on y arrive après avoir traversé les paysages arides de l'altiplano mexicain, puis franchi les premières crêtes de la Sierra Gorda.
Cette chaine de montagne fait partie d'un ensemble plus vaste, la Sierra Madre Orientale, qui prolonge les Rocheuses états-uniennes et barre la façade est du Mexique.
Dire de la Sierra Madre qu'elle est une barrière n'est pas un vain mot. Elle l'est d'un point de vue physique avec des sommets culminant à 3500 mètres. Elle l'est aussi d'un point de vue climatique en condensant les dernières traces d'humidité de l'air qui arrive du golfe du Mexique et en privant le haut plateau du centre du Mexique de tout espoir de précipitation. Quel que soit le côté par lequel on l'aborde, le phénomène est saisissant. Il suffit du passage d'un col pour que, d'un seul coup, le spectre des couleurs se décale de l'ocre au vert ou l'inverse. D'un côté (ouest), des flancs de montage dénudés parsemés de touffes d'herbes brunâtres et de rares cactus; de l'autre, des forêts de conifères d'abord, puis mixtes et rapidement tropicales, à mesure que l'on s'enfonce dans la vallée.
Mais la Sierra Gorda n'est pas qu'une montagne. C'est aussi la plus grande concentration d'écosystèmes du Mexique, 2308 espèces de plantes vasculaires, 127 espèces de champignons, 800 de papillons, 27 de poissons, 97 de reptiles, 34 d'amphibiens, 339 d'oiseaux (dont 27 endémiques du Mexique) et 110 espèces de mammifères. Une telle biodiversité méritait bien qu'on lui donne le statut de réserve de biosphère en 1997.
Pour un naturaliste du Québec, débarquer à Jalpan revient à atterrir sur une autre planète. Ça bouge, ça chante, on voit les cactus, les fleurs, les arbres, on essaye de les rattacher à des genres connus, mais en fin de compte, on ne reconnaît rien. Tout ça procure un mélange de frustration et de vertige. On voudrait tout savoir, tout voir, tout de suite. On regarde à droite, à gauche, on s'agite, on passe de l'un à l'autre pour finalement passer à côté. Et puis, on est obligé de lâcher prise et là seulement, on commence à poser le premier regard et à voir vraiment.
|
Paruline à calotte noire |
|
Moucherolle à ventre roux |
|
Colombe inca |
|
Tourterelle à ailes blanches |
Le premier regard est quelque chose de précieux et de fugace. Il a cette qualité d'accorder au commun la même valeur qu'au rare. Il fait en sorte que l'on s'émerveille à la vue d'une paruline à calotte noire, d'un moucherolle à ventre roux, ou d'une colombe inca, des oiseaux pourtant omniprésents dans cette région du monde. Il a l'inconvénient, par contre, de vieillir prématurément. Si on ne prend pas garde à l'entretenir, il peut même rapidement devenir indifférent. Qui s'intéresse encore aux moineaux ou aux pigeons ?
|
Moucherolle vermillon |
Évidemment, il y a ceux dont on ne se lasse pas, comme le moucherolle vermillon. Le regard, même le plus blasé, ne peut s’empêcher de s'y arrêter. Il faut dire qu'ils font tout ce qu'il faut pour ça, .
Le premier regard fait le bonheur du paresseux que je suis. Inutile de courir la rareté au bout du sentier, il suffit de s'asseoir et d'observer; encore faut-il bien choisir son banc (un art qui ne se maîtrise qu'après des années de pratique). À Jalpan, il y en avait justement un, à l'ombre d'un papayer portant un fruit mûr qui ne laissait pas indifférent la faune alentour. je n'ai jamais su qui avait creusé l'accès, peut-être ce pic à front doré qui venait s'y ravitailler. Toujours est-il qu'il a fait le bonheur de plus d'un.
|
Pic à front doré |
|
Merle fauve |
|
Moqueur bleu |
Et puis, il y toutes les espèces que l'on voit, mais qui resteront inconnues comme ce lézard, ce phasme ou ces épiphytes, qui colonisent les fils électriques. Il faut bien s'en garder pour les prochaines fois.