Mourir en beauté

Certaines plantes ne vivent que pour fleurir; on les dit monocarpiques ou sémelpares. Cela peut leur prendre un an (les annuelles), deux ans (les bisannuelles) ou plus (les pluriannuelles) pour produire des fleurs, mais l'issue est toujours fatale. Les autres, celles dont la floraison n’entraîne pas la mort (les vivaces) sont des plantes polycarpiques ou itéropares.

Agave americana
Agave americana

Parmi les plantes monocarpiques pluriannuelles, il y a les agaves. L'agave d'Amérique (Agave americana), un des plus spectaculaires par la taille et l'inflorescence, peut se préparer pendant 10 à 15 ans avant de pousser son chant du cygne sous la forme d'une hampe florale de 5 à 10 mètres de haut. Entre-temps, son rhizome aura produit quelques drageons à proximité...au cas où la reproduction sexuée ne porterait pas fruit.

Agave americana

Les agaves (Agave) sont souvent confondus avec les aloès (Aloe). Il faut dire qu'ils se ressemblent avec leur rosette de feuilles succulentes. C'est ce qu'on appelle une convergence évolutive: soumis aux mêmes conditions climatiques arides, ils ont développé les mêmes adaptations.
Pourtant, ils sont très différents, Les agaves sont originaires d'Amérique tropicale, en particulier du Mexique; ils appartiennent à la famille des Asparagacées et ils sont monocarpiques. Les aloès, eux, sont originaires d'Afrique, de la Péninsule Arabique et des îles de l'océan indien dont Madagascar; ils appartiennent à la famille des Asphodélacées et ils sont polycarpiques.
Les deux groupes ont fini par se rencontrer dans les jardins, car ils sont très utilisés comme plantes ornementales. Néanmoins, ils n'ont pas que des vertus décoratives. Les agaves sont aussi appréciés pour la fermentation de leur tige qui donne le pulque, le mezcal  (Agave atrovirens) et la tequila (Agave tequilana). De leurs feuilles, on tire le sisal (Agave sisalana), qui sert de fibre textile. Des aloès par contre, on ne fait pas grand chose, à part peut-être un usage culinaire et médicinal du coeur gélatineux de la feuille, ainsi qu'un usage médicinal de la sève qui est terriblement laxative.
Agave americana

L'hiver le fait sourire

Dans un coin de la fenêtre de la cuisine, il y a un vieux poinsettia (Euphorbia pulcherrima) tout tordu à force de chercher le soleil. Nous l'entretenons sans lui porter trop d'attention, sauf à la fin de l'hiver quand il nous fait le plaisir de rougir à nouveau. Rien de comparable cependant avec la timidité exagérée qu'il affichait lorsque nous l'avons accueilli. Depuis, je le soupçonne de feindre la pudeur pour ne pas être expulsé. 
J'ai appris cette année qu'il était d'origine mexicaine (les voyages ne forment pas que la jeunesse); ces congénères vivent sur les flancs montagneux de la façade pacifique du pays. Les aztèques l'appellaient Cuitlaxochitl et l'utilisaient comme colorant rouge et comme antipyrétique.

Euphorbia pulcherrima

De retour au Québec, notre poinsettia nous attendait, en fleurs comme ses congénères tropicaux. Il faut dire que la floraison est déclenchée par une période de jours courts (12 heures d'obscurité pendant au moins 5 jours), des conditions faciles à réunir à Montréal. Ça tombait bien; on dit partout que ses fleurs sont insignifiantes et j'avais envie de vérifier à quel point.
Inutile de rappeler (ou peut-être que si) que la rosette rouge au sommet des tiges, n'est pas la fleur. Bien que cela ressemble à des pétales, ce n'en est pas. Ce sont des bractées, qui entourent la fleur de certaines espèces. Quand elles sont colorées comme des pétales, on dit qu'elles sont pétaloïdes.
La fleur proprement dite du poinsettia, il faut la chercher au milieu des bractées. Il y en a même plusieurs et, tant qu'à faire, il vaudrait mieux parler de capitules plutôt que de fleurs; le capitule étant un regroupement de petites fleurs sans pédoncules collées les unes aux autres dans un réceptacle entouré de bractées. Les exemples les plus connus sont le pissenlit et la marguerite.

Euphorbia pulcherrima
Chaque excroissance globuleuse et verdâtre au milieu des bractées rouges est un capitule

Le poinsettia est hermaphrodite, ce qui signifie que les capitules ont des fleurs mâles et des fleurs femelles. Les mâles avec leurs étamines apparaissent en premier, les femelles viennent ensuite. Dans le monde des plantes, ce genre de sexualité pourrait être qualifié d'extrêmement "straight" .
Là où le poinsettia fait preuve d'imagination, c'est dans le jeu de la séduction. En effet, avant d'exposer crûment ses organes sexuels, il se fait pousser sur le côté du capitule, ce qui ressemble à une bouche pulpeuse aux lèvres jaunes (toujours du côté de la tige). D'abord fermée, elle s’entrouvre pour laisser perler une goutte nectar sucré,  tandis que les fleurs mâles se dressent. L'effet escompté est sans nul doute d'attirer des insectes pollinisateurs.
Malheureusement, ce qu'il se passe après est encore mystérieux, car la reproduction du poinsettia n'obéit pas aux mêmes règles que la nôtre. Pour l'instant, je guette l'apparition de madame et je me prépare à jouer le rôle de l’entremetteur. Encore une histoire à suivre...    
 
Euphorbia pulcherrima
Euphorbia pulcherrima
Euphorbia pulcherrima
Euphorbia pulcherrima

On nous ment

Depuis que Miss Météo nous a annoncé le printemps, il y a une semaine, chaque matin, mes graines et moi regardons par la fenêtre avec la ferme intention d'investir le jardin.


Manifestement, on s'est moqué de nous. 

La Sierra Gorda

By NASA - derivative work by Ricraider (NASA)
[Public domain], via Wikimedia Commons
Dans le nord du Querétaro (Mexique), se trouve Jalpan de Serra, une petite ville de 22000 habitants nichée au cœur du massif montagneux de la Sierra Gorda. De Mexico, on y arrive après avoir traversé les paysages arides de l'altiplano mexicain, puis franchi les premières crêtes de la Sierra Gorda.
Cette chaine de montagne fait partie d'un ensemble plus vaste, la Sierra Madre Orientale, qui prolonge les Rocheuses états-uniennes et barre la façade est du Mexique.
Dire de la Sierra Madre qu'elle est une barrière n'est pas un vain mot. Elle l'est d'un point de vue physique avec des sommets culminant à 3500 mètres. Elle l'est aussi d'un point de vue climatique en condensant les dernières traces d'humidité de l'air qui arrive du golfe du Mexique et en privant le haut plateau du centre du Mexique de tout espoir de précipitation. Quel que soit le côté par lequel on l'aborde, le phénomène est saisissant. Il suffit du passage d'un col pour que, d'un seul coup, le spectre des couleurs se décale de l'ocre au vert ou l'inverse. D'un côté (ouest), des flancs de montage dénudés parsemés de touffes d'herbes brunâtres et de rares cactus; de l'autre, des forêts de conifères d'abord, puis mixtes et rapidement tropicales, à mesure que l'on s'enfonce dans la vallée.

Versant oriental de la Sierra Gorda
Versant occidental de la Sierra Gorda

Mais la Sierra Gorda n'est pas qu'une montagne. C'est aussi la plus grande concentration d'écosystèmes du Mexique, 2308 espèces de plantes vasculaires, 127 espèces de champignons, 800 de papillons, 27 de poissons, 97 de reptiles, 34 d'amphibiens, 339 d'oiseaux (dont 27 endémiques du Mexique) et 110 espèces de mammifères. Une telle biodiversité méritait bien qu'on lui donne le statut de réserve de biosphère en 1997.
Pour un naturaliste du Québec, débarquer à Jalpan revient à atterrir sur une autre planète. Ça bouge, ça chante, on voit les cactus, les fleurs, les arbres, on essaye de les rattacher à des genres connus, mais en fin de compte, on ne reconnaît rien. Tout ça procure un mélange de frustration et de vertige. On voudrait tout savoir, tout voir, tout de suite. On regarde à droite, à gauche, on s'agite, on passe de l'un à l'autre pour finalement passer à côté. Et puis, on est obligé de lâcher prise et là seulement, on commence à poser le premier regard et à voir vraiment.

Cardellina pusilla
Paruline à calotte noire
Sayornis saya
Moucherolle à ventre roux
Columbina inca
Colombe inca
Zenaida asiatica
Tourterelle à ailes blanches
Le premier regard est quelque chose de précieux et de fugace. Il a cette qualité d'accorder au commun la même valeur qu'au rare. Il fait en sorte que l'on s'émerveille à la vue d'une paruline à calotte noire, d'un moucherolle à ventre roux, ou d'une colombe inca, des oiseaux pourtant omniprésents dans cette région du monde. Il a l'inconvénient, par contre, de vieillir prématurément. Si on ne prend pas garde à l'entretenir, il peut même rapidement devenir indifférent. Qui s'intéresse encore aux moineaux ou aux pigeons ?

Pyrocephalus rubinus
Moucherolle vermillon
Évidemment, il y a ceux dont on ne se lasse pas, comme le moucherolle vermillon. Le regard, même le plus blasé, ne peut s’empêcher de s'y arrêter. Il faut dire qu'ils font tout ce qu'il faut pour ça, .
Le premier regard fait le bonheur du paresseux que je suis. Inutile de courir la rareté au bout du sentier, il suffit de s'asseoir et d'observer; encore faut-il bien choisir son banc (un art qui ne se maîtrise qu'après des années de pratique). À Jalpan, il y en avait justement un, à l'ombre d'un papayer portant un fruit mûr qui ne laissait pas indifférent la faune alentour. je n'ai jamais su qui avait creusé l'accès, peut-être ce pic à front doré qui venait s'y ravitailler. Toujours est-il qu'il a fait le bonheur de plus d'un.

Melanerpes aurifrons
Melanerpes aurifrons
Pic à front doré
Turdus grayi
Merle fauve
Melanotis caerulescens
Moqueur bleu
Et puis, il y toutes les espèces que l'on voit, mais qui resteront inconnues comme ce lézard, ce phasme ou ces épiphytes, qui colonisent les fils électriques. Il faut bien s'en garder pour les prochaines fois.

Lézard
Phasme
Épiphytes
Épiphytes

Regretter son voyage

Pendant que je me promenais au Mexique, les observateurs d'oiseaux du Québec annonçaient le retour des premiers migrateurs avec un bon mois d'avance. La relative douceur de la fin février et du début mars aurait convaincu les plus pressés de revenir. 
Toutefois, avec les 30 centimètres de neige de la nuit dernière, j'en connais au moins deux qui regrettent leur voyage: ce vacher à tête brune et moi.

Molothrus ater
Molothrus ater
Molothrus ater

Réserve de biosphère du papillon monarque

À une centaine de kilomètres au nord-ouest de Mexico, dans l'état du Michoacan, ce qu'il reste des forêts de Sapins sacrés (Abies religiosa), ou Oyamel en espagnol, abrite 14 des dernières aires d'hivernage mexicaines du Monarque (Danaus plexippus). Des millions de papillons provenant de toute l'Amérique du Nord - certains d'aussi loin que le Canada (4000 km) - convergent en ces lieux, d'octobre à mars. Ils repartent ensuite vers leur lieu de naissance, un voyage dont seule la quatrième génération verra l'aboutissement.
En 2006, l'UNESCO a conféré le titre de réserve de la biosphère à un territoire de 56000 hectares, protégeant ainsi huit des sites de la déforestation qui menace en partie le monarque; l'autre danger étant les pesticides états-uniens et canadiens. En 2008, l'organisme a renforcé ce statut en faisant de la réserve  un Patrimoine de l'humanité. Sur ces huit sanctuaires, deux seulement se visitent: Sierra Chincua près du village d'Angangueo et El Rosario près du village voisin d'Ocampo.

Vers Ocampo (Michoacan)
Ici comme ailleurs, la forêt a cédé la place à l'agriculture

Ne voulant pas rater l'occasion de voir les papillons, nous avons longtemps hésité entre les deux pour finalement opter pour El Rosario, qui s'annonçait le plus difficile pour des voyageurs pas encore acclimatés à l'altitude (2700-3000 mètres) et à peine remis de leur infection respiratoire, mais qui était aussi le plus réputé (peut-il y avoir de la fumée sans feu...). Partis tôt le matin de Morelia (150 km), nous avons rejoint après deux heures de route le cortège des automobiles et des autobus qui gravissaient la petite route de montagne menant au sanctuaire.

Réserve de biosphère du papillon monarque - El Rosario

Après un premier barrage destiné à nous faire payer le passage du véhicule, nous sommes arrivés au stationnement qui grouillait déjà de visiteurs. À peine descendus de la voiture, nous avons été accueillis par des guides locaux qui se proposaient de nous conduire aux papillons. Inutile de céder à leurs sollicitations, car tout est parfaitement balisé et il est impossible de se perdre, même si à première vue tout semble un peu chaotique. Il suffit de suivre le flot des visiteurs; ce que nous avons fait.
Un premier chemin bordé de petits restaurants et de boutiques d'artisanat en tout genre nous conduit jusqu'au guichet où il faut payer le droit d'aller plus loin (je vous l'ai dit, tout est bien organisé). Les prix sont raisonnables et si cela permet de protéger l'habitat du monarque en transformant l'agriculteur-défricheur en rentier de l'écotourisme, je ne rechigne pas à payer.

Abies religiosa
Monarques

Ensuite débute l'ascension vers le monarque, d'abord par un escalier, puis par une piste extrêmement poussiéreuse (ou extrêmement boueuse selon les conditions météorologiques). La procession s'étire sur 2 à 3 kilomètres à travers une forêt de majestueux oyamels. On aperçoit rapidement les premiers monarques qui volettent ou butinent alentours, autant de prétexte pour s'arrêter reprendre son souffle. On pourrait presque les toucher; ce dont ne se privent pas d'essayer quelques visiteurs. Plus on s’élève, plus il y en a.

Cortège monarchique
Cortège monarchique
Cortège monarchique
Promiscuité et poussière
Promiscuité et poussière
Néanmoins, on reste sur sa faim et on finit par douter. Où sont ces masses de papillons accrochées aux arbres que l'on nous montre dans les reportages ? Serions nous arrivés trop tard ? Peut-être, car au fur et à mesure que la journée avance, la fraîcheur, qui contraint les papillons au regroupement et à l'immobilité pendant la nuit, se dissipe et la chaleur du jour leur permet de s'envoler pour aller se nourrir.
Finalement, le nombre des visiteurs, le bruit inévitable, la poussière soulevée par le piétinement, le souffle court, la réalité qui ne colle pas aux images, tout concourt à faire renoncer. Pourtant, tant que le chemin continue, il y a toujours ce sentiment vieux comme l'humanité qu'au-delà de ce que nous pouvons percevoir, l'herbe est plus verte. Alors on avance.
Et on fait bien, car tout est vrai. Ils sont là, au bout du chemin, recouvrant les arbres, jonchant le sol et remplissant le ciel. Et c'est magique.

Danaus plexippusDanaus plexippus
Danaus plexippus
Danaus plexippusDanaus plexippus
Danaus plexippus

Paulownia tomentosa

Cet arbre originaire de la Corée et du nord de la Chine semble très bien supporter la pollution de Mexico, où il est omniprésent.

San Miguel de Allende (Guanajuato)

Environ 1800 mètres d'altitude, autour de 5° la nuit et de 25° le jour, les plantes des terrains vagues et des bords de route empruntent largement à la famille des cactacées.

Naturellement

Bâton de marche
Avant d'être nordique, télescopique ou mono-brin, avant d'être article de sport, le bâton était outil.
Objet du quotidien, il guidait le troupeau, écartait le serpent du passage, trouvait les champignons sous les feuilles mortes, montrait la direction à suivre, faisait traverser le ruisseau au sec, soutenait le marcheur fatigué, portait son balluchon, sondait le terrain, éloignait parfois l'importun.
Avant d'être en aluminium ou en fibre de carbone, il était en bois. Nul besoin d'extraire la bauxite ou de carboniser le polyacrylonitrile pour le façonner; on laissait l'arbre transformer le dioxyde de carbone, l'eau et quelques sels minéraux, puis on taillait la bonne branche.
Avant d'être coûteux, il était gratuit.
On pouvait l'oublier ou l'abandonner; la nature et le temps s'arrangeaient pour qu'il ne soit jamais retrouvé. 
Cet hiver, nous avons profité des temps libres pour ajouter une fine couche d'acrylique sur les nôtres, histoire d'égayer nos marches.    
Bâton de marche