Un 29 juillet à Stephenville (Terre-Neuve)

Stephenville, avec ses 6 500 habitants, est la principale ville de la côte ouest de Terre-Neuve. A-t-elle du charme ? Je n'en sais rien et ce n'est pas le but de notre visite. Ce que nous cherchons, c'est Blanche Brook, la petite rivière qui la traverse et qui tient son nom de l'ancienne communauté acadienne depuis longtemps assimilée.

Pourquoi la rivière ? Parce que bien avant les anglais, avant les acadiens, les pêcheurs de morue français et même les béothuks, il y avait ici une forêt, une forêt peuplée d'essences d'arbres aujourd'hui éteintes, mais dont on peut voir les vestiges.

Nous mettons un peu de temps à trouver la Blanche Brook, un rien comparé aux 325 millions d'années qui nous séparent des arbres qui vivaient là. Après nous être stationnés à côté d'un pont, nous cherchons un accès pour descendre sur la berge sous le regard interrogateur de quelques personnes qui font la file pour remplir leurs bidons à une fontaine publique. 

Et puis, on commence à remonter la rivière en suivant la berge qui déborde largement sur le lit de la rivière en cette fin de juillet. Inutile de chercher bien longtemps, il faut juste que le regard s'habitue. On commence par voir les fragments d'écorces noircies, comme carbonisées par le processus de fossilisation, qui se détachent de la roche grisâtre.

Au fur et à mesure que l’œil se familiarise avec le paysage, les troncs et les branches plus pâles commencent à apparaître. Ils étaient là, bien sûr, mais nous regardions "trop petit". Il faut changer l'échelle de son regard pour contempler ces arbres qui pouvaient mesurer une cinquantaine de mètres de haut.

Déracinés par un cours d'eau des millions d'années plus tôt et ensevelis dans la boue, ils n'ont pas bougé depuis. Certains, presque intacts, s'enfoncent plus profondément dans la matrice. Alors, on s’assoit sur un rocher pour contempler, on se prend à imaginer le paysage de l'époque et on s'invente des histoires.

Des indispensables pour Terre-Neuve

Je ne pars jamais en voyage sans, au minimum, une flore et un guide d'identification des oiseaux. Cela fait un petit peu plus de poids dans les bagages mais je préfère le livre aux applications pour mobiles: les batteries d'un livre ne vous laissent jamais tomber, les livres craignent moins l'humidité et les chocs que l'électronique et les reflets du soleil sur le papier n'empêchent pas de lire.
Pour Terre-Neuve, dont le principal intérêt est la nature, je n'avais rien trouvé de satisfaisant pour la botanique en faisant une recherche trop rapide dans internet. Je me suis donc rabattu sur ma version remaniée et allégée (100 g de clés d'identification numérisées et rassemblées dans une brochure faite maison, au format presque-poche, façon flore de Bonnier) de la flore Marie-Victorin (2 kg de nomenclature désuète et coûteuse), en espérant que la flore de Terre-Neuve ne serait pas trop différente de celle du Québec et en misant sur d'éventuelles ressources locales dans le cas contraire. En ce qui concerne les oiseaux, mon "Sibley" ferait l'affaire.  
Quelques jours après notre arrivée, un jour de pluie nous a amené au Johnson Geo Centre de St.John's, notre plan B en de telles circonstances, et c'est à la boutique de ce musée sur la géologie de Terre-Neuve que j'ai trouvé les trois livres qui nous ont ensuite accompagné dans toutes nos randonnées et les ont même parfois guidées.


Ces trois volumes extrêmement bien faits font partie d'une collection de guides de terrains édités par Bouder Publications, une maison d'édition indépendante basée à Terre-Neuve et Labrador qui a réalisé un travail formidable.

Orchidées de Terre-Neuve

La deuxième quinzaine de juillet semble être un moment propice à l'observation des orchidées de Terre-Neuve, notamment quand la saison accuse trois semaines de retard au dire des cueilleurs de camarine, plaquebières et autres petits fruits.
Toujours est-il que nous ne les cherchions pas particulièrement et qu'elles nous sautaient aux yeux. Les platanthères étaient majoritaires mais le nombre n'est rien en comparaison de l'extravagante beauté de la reine des orchidées; j'ai nommé le cypripède royal à laquelle je ne pensais pas être, un jour, présenté. Évidemment, je me suis incliné à ses pieds.

Cypripède royal
Cypripède acaule
Platanthère dilatée
Platanthère papillon
Aréthuse bulbeuse
Platanthère du Nord
Platanthère claviforme
Pogonie langue-de-serpent
Platanthère à gorge frangée

Carnivores de Terre-Neuve

Marcher dans une tourbière est plus difficile qu'il n'y parait. D'abord, la densité de la végétation ne laisse rien paraître de la quantité d'eau qui imprègne le sol, et au premier pas sur la sphaigne, on s'enfonce comme dans une éponge. Ensuite, il faut faire attention à ne pas poser le pied sur une plante carnivore, non parce qu'elle risque de vous dévorer, mais parce que vous risquez de l’abîmer.
Et des plantes carnivores, il y en a pléthore: sarracénies pourpres, droséras linéaires et à feuilles rondes, utriculaires mineures et cornues, sans oublier la grassette commune; quoique cette dernière préfère les rochers calcaires.

Sarracénie pourpre
Droséra à feuilles rondes
Droséra linéaire
Utriculaire mineure
Grassette commune

Paysages de Terre-Neuve

En parcourant les 115000 km2 de l'île continentale de Terre-Neuve, on traverse huit grands types de paysages naturels, abritant des communautés de plantes caractéristiques.

Baie de St.John's, vue de cap Spear

La côte, longue de 9600 kilomètres, se présente le plus souvent sous la forme de falaises.
Tortueuse, elle dessine des fjords et des grandes baies au fond desquelles on trouve quelques plages de galets ou de sables. Elle est refroidie à l'est par le courant du Labrador qui prend naissance dans l'océan Arctique. À l'ouest, elle ferme le golfe du Saint-Laurent. Les plantes qui vivent là ont du apprendre à composer avec l'omniprésence du sel.

Sandy CoveBroad Cove

Les landes (barrens) sont des paysages dominés par les affleurements rocheux sur lesquels s'accrochent, quand la présence d'humus le permet, une végétation rase composée d'herbacées et de petits ligneux ne dépassant deux mètres de haut. Ce sont principalement des arbustes, exceptionnellement des arbres torturés par les vents, que les terreneuviens ont baptisé tuckamores. Ces landes représentent 20 % du territoire et se subdivisent en trois catégories:

  • les landes silicoles aux sols de grès et de granite, localisées dans le centre et l'est de Terre-Neuve. On y trouve des plantes qui aiment l'acidité.
      • les landes calcicoles de l'ouest de l'île, où le climat subalpin ou subarctique conféré par la latitude ne permet pas aux arbres de s'établir. C'est là que l'on peut rencontrer sans trop d'effort des plantes qui poussent généralement à des altitudes beaucoup plus importantes.
      • et les landes serpentinicoles aux sols plombés de métaux lourds (voir ici et ).

      Autre milieu auquel on ne peut pas échapper à Terre-Neuve, c'est le milieu humide. D'ailleurs, il vaudrait mieux dire les milieux humides puisqu'ils regroupent des habitats aussi différents que les marais, peu fréquents et localisés généralement à l'embouchure des cours d'eau, les étangs et les lacs, innombrables, et les tourbières, la grande majorité des milieux humides. Au total, ils occupent 20 % du territoire.

      Tourbière du parc provincial de Butter Pot

      Et puis il y a la forêt qui recouvre 50 % du territoire. À cette latitude, elle devrait être mixte, mais les vents dominants froids générés par le courant du Labrador la réduisent à un mélange boréal de sapins baumiers et d'épinettes noires et blanches.