L'absence de pluies conséquentes depuis plusieurs jours commencent à laisser sa marque dans le sous-bois du mont Saint-Bruno et, à certains endroits, les feuilles des couvre-sols ratatinées craquent sous les pieds.
En faisant le tour des lacs dans le sens autorisé (COVID oblige), nous avons croisé deux pirangas écarlates, des habitants exclusifs des forêts matures, plutôt décidues. On pourrait croire que le contraste du rouge vif de leur plumage sur le fond vert chlorophylle les rend facile à trouver, mais c'est tout le contraire. Ils compensent leur visibilité par un comportement extrêmement furtif et si on ne sait pas reconnaître le "tchik beur" caractéristique de leur appel, il y a de grandes chances que l'on passe à côté sans les voir.
Un mur d'artistes
Cette année, ma blonde et moi nous sommes lancés le défi de laisser un témoignage éphémère et discret de notre passage dans les lieux que nous visitons, en utilisant les éléments naturels et les réorganisant sans rien détruire; l'objectif étant de forcer notre regard à envisager d'autres angles. Un rien nous amuse.
Les nénuphars sont en fleurs depuis quelques jours. J'aurais aimé qu'ils soient de l'espèce indigène et odorante (Nymphaea odorata), mais les fleurs sont trop loin du bord pour que je les sente et en couper une nuirait à l'harmonie de l'ensemble.
Pour ceux qui s'intéressent aux usages des plantes, il ne semble pas que le Nymphéa odorant ait été utilisé pour soigner quoi que ce soit en Amérique du Nord. Par contre, Dans "A Field Guide to Edible Wild Plants of Eastern and Central North America" de Lee Allen Perterson, on peut lire que les jeunes feuilles, les boutons de fleurs et les graines sont comestibles. Les feuilles et les boutons bouillis se "dégustent" avec un peu de beurre et les graines peuvent être soufflées façon pop-corn ou réduites en farine après séchage. N'hésitez pas à me faire signe si vous essayez et survivez à l'expérience.
Les oiseaux ont beau être des créatures particulièrement bien adaptées à la sécheresse (pour des raisons que j'ai brièvement évoquées ici), cela ne signifie pas qu'ils ne souffrent pas de la chaleur. Et quoi de mieux qu'un bon bain au beach club de Longueuil pour se rafraîchir ?
Tout a été aménagé pour que chacun y trouve son compte: un petit bassin-tourbillon avec ou sans ombrage selon les goûts, et en contre-bas, un grand bassin avec chute d'eau, vagues naturelles et surf sur feuille de nénuphar pour les plus aventureux. Dans le petit bassin, quelques roches savamment inclinées permettent à toutes les longueurs de pattes de se mouiller les orteils.
Hier avec la canicule, tout le monde s'était donné rendez-vous pour une beach party. Il y avait les habitués - le Merle d'Amérique, le Bruant chanteur, le Chardonneret jaune et le Moineau domestique - et des nouveaux membres - le Bruant familier, la Paruline Jaune, la Paruline flamboyante, la Grive fauve et les Quiscales bronzés qui ne se déplacent qu'en famille. C'était l'occasion de se désaltérer et de prendre un bon bain, parfois avec aisance, parfois avec prudence ou maladresse.
Certains ont leur heure; d'autres y passent la journée, mais tous ont du plaisir au beach club de Longueuil.
Dans l'ordre de première apparition: Merle d'Amérique, Bruant chanteur, Moineau domestique, Oriole de Baltimore, Moineau domestique femelle et mâle, Merle d'Amérique juvénile, Chardonneret jaune mâle, Paruline jaune mâle, Quiscale bronzé, Grive fauve, Bruant familier, Roselin familier, Paruline flamboyante femelle et mâle
Aujourd'hui 21 juin, c'est le sixième jour de canicule et le dixième jour sans pluie. Pendant que le banlieusard est submergé par toute une gamme d'émotions qui vont du plaisir de cultiver son cancer de la peau dans sa piscine hors-terre à la désolation de voir sa pelouse brûler au soleil à cause des restrictions d'eau, le naturaliste asthmatique regrette presque d'être allé chercher la fraîcheur dans les sous-bois du Mont Saint-Bruno.
J'avais oublié que quelques centaines de kilomètres plus au nord, le Québec brûle. L'opacité de l'air, l'odeur de cendre et le ratatinement de mes poumons à la première inspiration me l'ont vite rappelé. Ce n'est pas une raison suffisante pour renoncer et, comme je n'ai pas l'intention de céder à la tentation du climatiseur qui contribue au problème en laissant échapper ses gaz réfrigérants, plutôt suer dehors que dedans. Toute cette fumée, ça fait des belles photos quand le soleil pogne dedans. Et puis ma blonde a rempli la mission qu'elle s'était fixée: retrouver le plan de Ginseng à cinq folioles vu l'année dernière.
Le ginseng est toujours là dans son écrin de capillaires
Au jardin, c'est le temps de récolter la grande camomille (Tanacetum parthenium) pour s'en faire des infusions. Comme c'est souvent le cas, le goût n'a pas grand chose à voir avec ce que l'on peut trouver dans les vieux sachets du commerce et il faut vraiment en avoir envie ou besoin pour apprécier son amertume.
Celui qui se prenait pour le plus gros colibri du monde se prend maintenant pour le plus gros moineau du monde. C'était une ou deux heures avant le coucher du soleil et même s'il n'est pas strictement nocturne, le raton se déplace rarement le jour. Celui-là a dû tomber du lit ou il a compris que s'il voulait profiter des dernières graines, il avait intérêt à passer avant le tamia rayé. À en juger par ses pattes postérieures, il a même pris le temps d'aller faire une petite trempette dans le bassin.
Cette année, le bourdon fébrile (Bombus impatiens) est obligé de partager le jardin avec Bombus rufocinctus (traduction personnelle: Bourdon à ceinture rousse) qui s'invite tous les jours à sa table. Les années précédentes, il venait lui faire une ou deux visites au printemps, puis on ne le voyait plus; il devait probablement trouver mieux ailleurs.
Face à ce doublement de la biodiversité de la tribu des Apini, sous-famille des Apinés, famille des "Apidés", je décidai de revoir mon sens de l'hospitalité en rénovant l'abri que j'avais bâclé, il y a quelques années, pour les fébriles: un vieux pot de fleur en terre cuite bêtement posé à l'envers, qui bien sûr n'a jamais attiré l'attention d'un seul bourdon, mais qui sert de tour de garde au tamia.
Cette année, je ne pouvais que faire mieux. Ce serait du grandiose ou rien, ni plus ni moins que le Taj Mahal des bourdons. Autrement dit: un pot plus gros avec un diamètre de porte réglementaire, un plancher de bois franc isolé de l'humidité du sol et pour finir, un toit avec piscine pour les oiseaux ou le tamia.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Et maintenant que tout est en place, il ne reste plus qu'à attendre la génération 2020 et tout un hiver, car les reines nées à la fin de l'année dernière ont déjà fondé leur colonie.
Le futur hotel plutôt particulier
Entrée principale de 2,5 cm de diamètre et sortie de secours accidentelle
Plancher d'écorce, rien que du naturel
Sous-plancher bombé pour isoler de l'humidité
On retourne et le tour est joué
Un peu de terre pour cacher les fondations et des cales pour installer le penthouse avec piscine
En espérant que le tamia ne m'en veuille pas trop d'avoir transformé sa tour de guet
Le titre ressemble à celui d'un conte des Mille et Une Nuit, mais le décor est celui d'un jardin de Longueuil (Québec) entre piscines, tondeuses, scie à onglets du bricoleur du dimanche et pesticides.
Qu'à cela ne tienne, quand je veux m'extraire du quotidien du 450, je vais faire un tour au fond de mon jardin pour m'asseoir sur le banc sous le Chalef argenté en fleurs (Elaeagnus commutata) et me laisser emporter par son parfum incroyable. Ah, si seulement, je pouvais enfermer ce génie floral dans une bouteille.
Aussi surprenant qu'il puisse paraître avec son feuillage argenté et son port arqué qui le font ressembler à un olivier, le Chalef est chez lui dans l'Est du Canada. Attention cependant à ne pas le confondre avec son cousin eurasien, l'Olivier de Bohême (Elaeagnus angustifolia), qui a été introduit pour je ne sais quelle obscure raison et qui le supplante en nombre.
À la maison, il y a presque autant de plantes à l'intérieur qu'à l'extérieur des murs et tout ce vert, dans et à travers les fenêtres, a longtemps été une cause d'accidents pour les oiseaux qui ne voient pas les vitres. Si la plupart s'en remettaient après quelques minutes, quelques uns y restaient. J'écris au passé, car le problème a été résolu par l'ajout de réflecteurs de rayons ultraviolets. Le système, des calques non permanents, se pose et s'enlève facilement, il est relativement discret, voire décoratif, et il est surtout très efficace puisque nous n'avons plus de collisions dans les fenêtres qui en sont équipées.
Pour l'essai, nous avions décidé de nous limiter aux fenêtres les plus à risque. Or hier, une bande de jaseurs d'Amérique se nourrissait dans le jardin et malheureusement l'un d'entre eux s'est tué dans la seule fenêtre non marquée de la façade.
Un peu à la façon de l'ornithologue Jean-Jacques Audubon qui tuait les oiseaux pour mieux les dessiner, nous en avons profité pour l'examiner d'un peu plus près. À notre grand étonnement, nous avons découvert que la coloration rouge de la pointe des ailes n'était pas due aux barbes de la plume, mais plutôt à la pointe du rachis qui s'aplatit et prend une teinte tête-d’allumette.
Bon OK, les bruants du Québec ne sont pas les oiseaux les plus sexy à observer ni les plus faciles à identifier, mais ce serait quand même dommage de ne pas ajouter leurs 16 nuances de brun à une palette qui se limite généralement au brun moineau.
Espèces nicheuses au Québec
Bruant sauterelle Bruant familier Bruant des plaines Bruant des champs Bruant fauve Bruant hudsonien Bruant à couronne blanche Bruant à gorge blanche Bruant vespéral Bruant de LeConte Bruant de Nelson Bruant de Henslow Bruant des prés Bruant chanteur Bruant de Lincoln Bruant des marais
Parmi les espèces qui nichent au Québec, huit ont été vues au jardin. Le bruant chanteur et le bruant familier y résident tout l'été et cèdent le terrain au bruant hudsonien en hiver. Entre les deux, il y a ceux que l'on voit deux fois par an au moment des migrations: le bruant à gorge blanche, le bruant à couronne blanche et le bruant fauve. Et puis de temps en temps, les migrations nous amènent une surprise comme un bruant des champs (vu une fois en automne) et le 18 mai dernier, un bruant de Lincoln qui nous a tenu en haleine pendant une semaine.
On ne peut pas dire que ce soit un oiseau rare au Québec; il est juste extrêmement discret. Dans un premier temps, nous avions cru voir une souris ou un mulot courir se cacher dans la végétation, puis un bruant chanteur. Ce n'est qu'aux jumelles que nous l'avons reconnu.
Ce bruant doit son nom à Thomas Lincoln, l'assistant de Jean-Jacques (John James) Audubon et le père d' Abraham Lincoln (si ce n'est pas un homonyme), qui découvrit l'espèce à Natashquan (Québec).
Nous sommes le 12 juin. Le décor a beaucoup changé depuis le 4 avril, mais le couple de colverts est toujours là et suit une routine dorénavant bien établie: bref passage le matin pour un petit-déjeuner, retour à midi pour une sieste prolongée dans le bassin et une dernière visite en début de soirée pour un repas plus copieux (graines mélangées et mousses arrachées aux pierres du bassin), suivie d'une toilette approfondie et d'un séchage sur les pierres avant de repartir.
Le viréo aux yeux rouges n'est pas un oiseau rare; c'est même un habitant très commun des forêts de l'Est américain et canadien. Mais comme il arrive après les feuilles et se tient toujours à la cime des arbres, on ne peut le voir qu'au prix d'un douloureux torticolis.
Il compense son invisibilité par un chant sonore et composé de deux ou trois phrases courtes qu'il répète inlassablement du matin au soir, tant et si bien qu'on ne l'écoute même plus. Je suis prêt à parier que si vous n'entendez qu'un seul chant d'oiseau en vous promenant en forêt, ce sera celui du viréo.
Quant à la couleur de ses yeux, vous aurez peut-être la chance d'observer un reflet rouge foncé (on le devine sur la vidéo) si la journée est ensoleillée et si l'incidence de la lumière est la bonne, juste avant le torticolis.
Depuis quelques jours, les accès payants à la nature rouvrent, car bien sûr il n'était pas question de laisser le monde se disperser gratuitement dans les parcs au risque de contaminer un cerf de Virginie ou un écureuil gris. Même prix d'entrée, moins de services, mais des nouveaux panneaux qui font ressembler la nature au centre-ville de Montréal. Autre nouveauté: les sentiers sont ouverts dorénavant aux chiens, une clientèle que tout bon gestionnaire ne peut évidemment pas écarter. Comme l'un ne va pas sans l'autre, cela m'a donné l'occasion de voir fleurir mon premier sac à m... dans le parc national.
Heureusement, il y avait quand même de belles choses comme cet immense peuplier deltoïde et cette famille de Canard branchu.
C'était le 4 avril dernier dans le boisé du Tremblay. Une cane branchue, ou peut-être une Cane "branchu" à moins que ce soit une femelle de Canard branchu (je ne sais pas comment l'orthographier), volait de branches en branches à la recherche d'un emplacement pour installer son nid.
On a beau savoir que cette espèce niche dans la cavité d'un tronc d'arbre, cela reste un spectacle étrange que de voir cet animal aquatique devenir forestier le temps d'une saison. Et que dire de celui des canetons qui, à peine éclos, s'étourdissent après une chute libre d'une dizaine de mètres pour aller rejoindre le plan d'eau voisin ?
De retour à la maison, j'allais consulter quelques livres pour me remémorer les nombreux détails que j'avais oubliés sur la vie de ce canard. Ce qui m'intéressait surtout était de retracer les liens qu'il tisse avec son environnement, d'essayer de comprendre sa place dans le décor, de profiter de ce point de repère, de ce nœud dans la trame, pour suivre quelques fils et, au bout du compte, probablement chercher une justification à ma propre existence.
Je lisais donc que le canard branchu est un spécialiste des milieux forestiers humides. Il aime particulièrement les forêts décidues abritant des milieux humides de faible profondeur et des arbres de calibre assez important, entre 35 et 95 cm de diamètre à hauteur de la poitrine (Atlas des oiseaux nicheurs du Québec méridional).
Dans le boisé du Tremblay, la question de l'eau ne se pose pas puisqu'à la moindre pluie un peu forte, il s'inonde. L'eau, voilà un premier fil facile à suivre ! Si elle est si présente dans le boisé, on le doit à la nature du sol, des argiles déposées au fond de la Mer de Champlain pendant quelques milliers d'années, et à l'absence de relief des Basses-terres du Saint-Laurent, un ancien plateau continental du continent Laurentia rehaussé par la formation des Appalaches il y a des millions d'années. Ajoutez à ces conditions quelques familles de castors pour retenir l'eau et vous aurez un début d'habitat pour le "branchu".
Maintenant, il faut trouver des arbres suffisamment gros pour abriter une cane et ses 12 œufs (en moyenne); ce qui ne devrait pas être si difficile puisque nous sommes dans le domaine bioclimatique le plus clément du Québec, celui de l'Érablière à Caryer. Malheureusement, dans ce grenier du Québec qu'est la plaine du Saint-Laurent, rares sont les arbres qui ont été épargnés par la hache du colon. Dans le boisé du Tremblay, il reste des vestiges et des descendants de cette forêt primaire. Pourquoi, comment ? Je soupçonne que les affleurements rocheux que l'on trouve ici et là ont empêché le passage de la charrue et ont forcé l'homme à renoncer à la domestication des lieux. Plus tard, l'abandon des terres agricoles aux spéculateurs immobiliers et les projets de construction tardant à venir dans cette zone éloignée du centre ont permis au sauvage d'étendre son territoire
De l'eau, des arbres matures, on y est presque. Il ne reste plus quà trouver des cavités dans les troncs. Facile à dire pour les pics qui les fabriquent à la demande, mais pour une branchue, il faut s'en remettre à l'opportunité d'un nid de Grand Pic abandonné et délaissé par une autre espèce ou une congénère. Autant dire que les chances sont minces, ce qui peut expliquer pourquoi les canes de cette espèce sont si fidèles à leur nid.
Ce jour-là, il y en avait une qui cherchait son arbre, peut-être tombé pendant l'hiver, et nous étions là pour la voir. Toutes les circonstances avaient été réunies et à la question du photographe de passage qui nous demanda: "avez-vous vu quelque chose d'intéressant ?" (sous-entendu l'oiseau rare signalé la veille sur l'internet), je répondis : "oui, plein".
Hier matin, je faisais mon tour de jardin quand je suis tombé sur une énième tentative d'excavation sous le cabanon, un travail de marmotte à première vue, étant donné le volume de terre déplacé et le diamètre de l'orifice. Furieux d'avoir perdu les plantules de primevères officinales que j'avais enfin réussi à faire sortir de terre, j'envisageai déjà les représailles les plus terribles, mais avant cela il fallait trouver comment le vandale avait réussi à entrer dans le jardin.
Une première inspection de la clôture ne révéla aucune brèche dans le grillage; rien non plus au deuxième tour, plus attentif. Alors quoi ? Tout ce qui peut passer dans le jardin sont les lapereaux - assez petits pour se faufiler entre les mailles de la clôture, mais assez forts pour creuser un terrier de cette taille - et les ratons laveurs qui passent par dessus. Par ailleurs, lorsqu'une marmotte réussissait auparavant à se glisser dans le jardin, elle y laissait des traces de broutage; là, rien.
Je revins donc sur les lieux du crime pour essayer de comprendre et réalisai que l'entrée du tunnel correspondait à celle du grenier de notre tamia. Pas de dégats dans les plantes, pas de traces d'effraction, un pillage de grenier, ça ressemblait de plus en plus à la signature d'un raton voleur.
Déçu pour le tamia, je rebouchai le trou, dissuadai toute autre tentative de forage en plantant des pieux et disposai ma caméra pour m'assurer de l'identité du voleur qui revient généralement sur les lieux de son crime. Un peu plus tard, pris de remords pour l'écureuil qui n'avait peut-être pas tout perdu, je revins lui aménager un accès vers ses réserves. Bien m'en prit, car quelques minutes après mon intervention, il alla inspecter les lieux. Par contre, en ce qui concerne le voleur, les images de la nuit ne révélèrent rien !