En Europe où elle pousse naturellement, on l'utilise en cuisine depuis 6000 ans pour le goût d'ail de ses feuilles fraîches et celui de moutarde de ses graines. À une époque, elle servait même à se soigner.
Dans l'est du Canada et des États-Unis où elle a été introduite, c'est une autre histoire. On a perdu la mémoire et on considère aujourd'hui l'alliaire officinale (Alliaria petiolata) comme une envahisseuse qu'il faut éradiquer.
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L'alliaire qui fleurit à partir du mois de mai dans les lieux ombragés est de la même famille que le chou, la moutarde et le radis. On la reconnaît facilement à ses petites fleurs blanches où tout va par quatre et à ses feuilles alternes, triangulaires, bordées de grandes dents. En froissant les feuilles ou en y goûtant, on comprend pourquoi on l'appelle l'herbe à l'ail |
Il faut bien reconnaître que quand l'alliaire se plaît, elle a tendance à se répandre et ce, au détriment de la flore locale.
Au cours d'une récente ballade dans le refuge d'oiseaux migrateurs de Philipsburg qui abrite également quelques plantes rares, j'ai croisé la route d'une botaniste en train de prendre des notes, penchée sur une parcelle d’échantillonnage. Comme je suis curieux, je l'ai saluée et lui ai demandé si ce n'était pas indiscret de savoir ce qu'elle étudiait. Très gentille, elle m'a répondu de lui laisser une minute pour noter ses observations avant de m'expliquer que l'alliaire s'était installée depuis peu dans le refuge, qu'elle risquait de menacer ses plantes rares, que des campagnes d'arrachage avaient été menées et qu'elle voulait savoir si l'arrachage suffisait pour la recolonisation des lieux par les espèces indigènes ou s'il fallait ré-ensemencer. Elle m'expliqua ensuite que l'alliaire est une plante allélopathique, c'est-à-dire qu'elle ne se contente pas de germer et de pousser, mais elle inhibe également la germination et la croissance de ses voisines en sécrétant des composés chimiques dans le sol.
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Dans le boisé du Tremblay, la colonisation par l'alliaire a commencé. Il suffirait de lui donner un prix pour qu'elle disparaisse.
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Je la remerciais pour le temps qu'elle m'avait consacré et notais l'ironie de la situation: l'être humain qui s'étend au détriment de tout le reste y compris de lui-même s'évertuant à éliminer une plante qu'il a introduite et qui se comporte comme lui.
Mais on n'est pas là pour faire de la philosopĥie à quat' sous et on pourrait plutôt se demander pourquoi l'alliaire réussit ici ce qu'elle ne parvient pas à faire en Europe. La science nord-américaine s'est évidemment intéressée à la question et on trouve de nombreuses publications sur le sujet en faisant une recherche dans Google Scholar. Parmi ceux-ci, un article que l'on peut lire ici (et même en francais graĉe à une traduction plus qu'approximative faite par google) fait le point sur les mécanismes d'action allélopathiques de l'alliaire.
On y apprend qu'ils peuvent être directs via les substances évoquées plus haut, mais aussi indirects par perturbation de la flore mycorhizienne et bactérienne du sol. On y apprend aussi que la flore européenne en raison de sa coévoluétion avec l'alliaire n'y est plus vraiment sensible.