Un 4 octobre dans le boisé du Tremblay

Un miaulement dans un buisson ne signale pas toujours la présence d'un chat; ce peut aussi être un moqueur chat. Hier, nous avons trouvé celui-là qui se nourrissait dans une vigne vierge en compagnie d'une grive trop vite entrevue pour l'identifier. 

Pensant qu'il était peut-être un migrateur en retard, j'ai interrogé le site ebird, une source intarissable d'informations sur les oiseaux. En tapant "moqueur chat" et "Longueuil, Qc, Ca", le site m'a sorti un graphique à bandes montrant que les effectifs de cette espèce ne commençaient à diminuer qu'à partir du 1er octobre. Il est donc largement dans les temps.

Le concombre sauvage dans toute sa déhiscence

Si, au cours de vos promenades, vous avez croisé des fruits verts, ovoïdes et épineux, suspendus à des branches, vous savez à quoi ressemble le concombre sauvage (Echinocystis lobata), ou concombre grimpant. Bien qu'il soit de la même famille que le concombre cultivé (Cucumis sativus), celle des cucurbitacées, le sauvage n'est pas comestible. Et si vous avez manqué la floraison, vous pouvez aller faire un tour ici.   

Je ne m'étais jamais interrogé sur la dissémination des graines du concombre sauvage, mais hier, en me promenant dans le boisé du Tremblay où il y en a beaucoup, la réponse s'est imposée. Il se trouve que le concombre sauvage pratique la barochorie ou autrement dit: les graines sont mues (-chorie) par la gravité (baro-).

Les parois du fruit qui pend au bout de son pédoncule s'ouvrent du côté sol en se retroussant et, ce faisant, laissent tomber quatre grosses graines. Je ne suis pas resté assez longtemps pour voir ce qu'elles devenaient, mais si elles devaient être mangées par un animal, on basculerait dans l'endozoochorie (inutile de faire un dessin).

Un premier octobre À North Bay (Ontario)

Escale à North Bay, une petite ville ontarienne sans autre charme que ses zones de conservation de la nature arrachées aux promoteurs immobiliers et aux industries locales; encore un endroit où l'on mesure sa virilité - c'est valable pour les femmes aussi - à la taille de son pick-up et au bruit que fait son moteur. À North Bay comme ailleurs, j'ai l'impression que même les pieds dans l'eau et les toits emportées par  des tornades, on se lamentera sur le dérèglement climatique sans soupçonner que l'on y est pour quelque chose.

Après avoir trouvé un motel au bord du lac Nipissing, nous allons nous dégourdir les jambes dans un petit parc résidentiel juste à côté. Sur la rive, il y a justement un "flock" de pipits d'Amérique en migration qui se ravitaillent dans le gazon, un grand chevalier, un grèbe esclavon et cinq cygnes trompettes au large. C'est pas si mal, North Bay.

Grand Chevalier

Un 29 septembre à Nédélec (Témiscamingue)

Nous avions entendu parler d'un sentier d'interprétation à Nédélec ayant pour thème les plantes médicinales. C'était la fin de la journée, il faisait gris et les plantes, un 29 septembre, c'est comme plus trop la saison. Mais bon, la curiosité et mon intérêt pour ce genre de sujet... J'ai finalement réussi à convaincre ma blonde d'aller y faire un détour. 

L'endroit avait quelque chose d'étrange avec des paons et des faisans dans une volière en ruine, des "lapins de compagnie" qui courraient en liberté dans un décor de forêt boréale mixte, mais tout ça pour une noble cause alors...j'en ai profité pour récupérer quelques graines d'asperge et de mauve.

Les fruits de l'asperge

Au retour, ma blonde me dit qu'elle vient de voir quatre grues du Canada dans un champ au bord de la route.  Nous les avions entendues en vol dans la matinée sans les avoir encore vues malgré le fait que le Témiscamingue est une place réputée pour l'observation de la grue en migration. 

Demi-tour pour faire des photos. Elles sont bien là, mais pas toutes seules. Il y en a des centaines (nous avons arrêté le compte à 300) dans le champ, en groupes familiaux de 3 à 5, et il en arrive d'autres pour une halte migratoire. Finalement, le détour valait la peine.

Grues du Canada

Sur la terre des faucons et des Algonquins

Aujourd'hui, nous devions aller faire le sentier des cascades quelque part au sud du village de Laforce. Après quelques kilomètres de belle piste, nous finissons par trouver l'accès pour finalement nous rendre compte après une cinquantaine de mètres de marche que le sentier a été rendu à la nature. Il ne reste qu'un gazébo, une table à pique-nique et quelques graffitis d'ados.

Au Témiscamingue, l'automne est commencé.

Qu'à cela ne tienne, nous décidons d'aller voir à quoi ressemble le bout de la route et le village de Winneway qui en marque la fin. Sur le chemin, nous croisons plusieurs crécerelles d'Amérique et faucons émerillons perchés sur les fils électriques. Nous n'en avons jamais vu autant que depuis que nous sommes au Témiscamingue. Nous avons également pu observer le faucon pélerin.

Faucon émerillon
Crécerelle d'Amérique

Sur le point d'arriver, nous sommes arrêtés par un poste de contrôle que nous ne nous attendions pas à trouver là. Trois jeunes gens souriants et sympathiques en sortent et nous demandent en anglais ce que nous venons faire là. Ils nous apprennent alors que nous arrivons dans la communauté de Winneway, territoire de la première nation algonquine Long Point. L'objectif du contrôle est de confirmer notre état vaccinal en montrant notre vaxicode. Quant à la raison de notre visite, la simple curiosité de voir à quoi peut ressembler le bout de la route fait sourire les jeunes, mais nous rend plutôt mal à l'aise, ma blonde et moi.

Ce malaise, nous le ressentons à chaque fois que le hasard de la route nous mène à une réserve. Impossible de surmonter ce sentiment de culpabilité d'appartenir au camp de l'oppresseur (et pourtant, je ne suis pas né sur ce continent et cette histoire n'est pas la mienne), de faire partie de ceux qui ont massacré les Premières Nations, qui ont inventé le concept de réserve pour ostraciser les survivants et qui continuent à les exclure et à les maltraiter. Alors, nous sommes allés au bout de la route, sans plaisir, et nous sommes retournés sur nos pas.

Un 25 septembre vers le lac des Quinze

En ce 25 septembre de l'an de grâce 2021, nous décidâmes de remonter la rivière des Outaouais jusqu'à sa source. Nous fîmes un arrêt à Notre-Dame-du-Nord, là où la rivière devient le lac Témiscamingue, dans le but d'obtenir la bénédiction de notre expédition, puis remontâmes le cours de la rivière vers le lac des Quinze.

La rivière des Outaouais au lac Kakake: à partir de là, nous empruntons "l'explorateur", un des chemins de randonnée balisés par l'organisme Récré-eau des Quinze.

Au lac Kakake, au bout du chemin du Pouvoir, nous fûmes contraints d'abandonner notre monture pour continuer à pied. Après 4 heures de marche dans une jungle froide et hostile, peuplée d'arbres vertigineux et de créatures toutes plus étranges les unes que les autres, nous dûmes nous avouer vaincus et rebrousser chemin.

Polystic faux-acrostic
Pin blanc

De retour à notre camp de base, nous réalisâmes la vanité de notre tentative en consultant Wikipedia qui nous apprit que la rivière des outaouais est le plus long cours d'eau du Québec (1271 km) et que sa source, parfaitement identifiée, est le lac des Outaouais situé bien au-delà de nos capacités.

Un monstre inconnu, capturé et confié aux experts de iNaturalist.com
Un autre trop rapide pour la pellicule numérique, mais connu sous le nom de Grand Pic

Un 24 septembre sur les hauts d'Obadjiwan-Fort Témiscamingue

En jouant à poser son doigt au hasard sur une carte pour connaitre sa prochaine destination, on peut se retrouver au bord du lac Témiscamingue. Frontière naturelle entre le Québec et l'Ontario, le nom vient de l'Algonquin "temi kami" qui se traduit par "eaux profondes", et avec ses 120 mètres de profondeur, on peut dire que les algonquins avaient vu juste.

En 1685, les Français établissent un premier poste de traite avec la nation Timiskaming dans un détroit du lac permettant la surveillance des allers et venues des autochtones, mais surtout des anglais, sur cette voie de communication essentielle vers le Nord et la baie d'Hudson qu'était la rivière des outaouais.
Chêne à gros fruits
Et son client, l'écureuil roux

Un 19 septembre dans le boisé du Tremblay

Ah, qu'on était bien, hier, dans le boisé du Tremblay ! 

Les dernières belles journées de l'été ont quelque chose de spécial que j'ai du mal à définir, mais qui ressemble au bonheur. Une espèce de douceur dans l'air, de quiétude et de silence aussi, ou peut-être la lumière, je ne sais pas.

Le pimbina est en fruits, mais il est préférable d'attendre la première gelée pour cueillir.
Les raisins de la vigne des rivages (Vitis riparia) sont comestibles comme ceux de de la vigne eurasienne (Vitis vinifera). C'est cette vigne qui a sauvé l'eurasienne du phylloxéra. Et pour cause, elle a grandi avec l'insecte, lui aussi, américain et a eu le temps de l'apprivoiser.
Gentiane d'Andrews
Aster à ombelles
La paruline à croupion jaune affiche son identité, même en plumage d'automne
Une aubépine parmi tant d'autres

Les sorbiers

Sorbier d'Amérique

Arbres ou arbustes, américains ou eurasiens selon les espèces, les sorbiers (Sorbus) ne sont pas que des arbres décoratifs que l'on plante dans les jardins et les parcs. À une autre époque, ils ont été alimentaires, médicinaux, transformés en outils et investis de magie. Tombées en désuétude, certaines espèces sont aujourd'hui menacées ...

Un 14 septembre dans le boisé du Tremblay

Première constatation en nous promenant dans le boisé en cet fin d'après-midi: il est dramatiquement sec. Reste à savoir si c'est une année exceptionnelle ou le prélude à un changement climatique durable. Quelque chose m'incite à envisager la seconde hypothèse. Après la vague de spongieuse du printemps, l'épidémie d'agrile de ces dernières années, les arbres n'avaient pas besoin de cette sécheresse. Sous l'effet du stress hydrique, la chlorophylle disparaît et dévoile prématurément les pigments automnaux. C'est encore l'été et les arbres perdent déjà leurs feuilles; certains saules n'en ont déjà presque plus.

Deuxième constatation, les rapaces sont en migration. En levant les yeux après avoir remarqué un pygargue à tête blanche tournoyant dans un  thermique pour prendre de l'altitude, ma blonde m'a fait remarquer une trentaine de rapaces plus petits empruntant la même ascendance avant de se laisser glisser vers le sud. Je dois dire que je suis toujours impressionné par la migration de ces prédateurs au mode de vie solitaire qui se regroupent en caravane le temps d'un voyage. On y voit souvent se côtoyer plusieurs espèces, oubliant l'espace d'un instant leur rivalités pour profiter de conditions météo favorables. Il faut croire qu'il sont moins stupides que nous.

Pygargue à tête blanche, haut dans le ciel...
...et pas tout seul

Troisième constatation, j'ai encore tellement de choses à découvrir, comme, par exemple cette grande herbe à poux (ambroisie trifide, Ambrosia trifrida) que je vois pour la première fois bien qu'elle soit, parait-il, commune.

La grande herbe à poux porte bien son nom. Je suis debout sur une passerelle de bois et elle est aussi grande que moi. Je me demande si elle est aussi allergénique que sa petite sœur, l'ambroisie à feuilles d'armoise.

En se promenant autour du lac Saint-Jean

Même si le volume d'eau du lac Saint-Jean parvient à tempérer un petit peu le climat, Il n'y a aucun doute sur le caractère boréal des paysages dominés par les conifères (épinettes, sapin baumier et pin gris) au milieu desquels parviennent parfois à s'immiscer des bouleaux blancs ou jaunes, et des sorbiers d'Amérique.

Dans les zones autrefois cultivées, on retrouve évidemment l'omniprésent peuplier faux-tremble qui est souvent le premier à se dévouer pour effacer les traces de notre passage.  

Les pins gris se plaisent dans les sables laissés par la mer de Laflamme , il y a 10000 ans. Ils y forment des peuplements purs de grands arbres.
Une autre spécialiste du sable, la comptonie voyageuse (Comptonia peregrina) est omniprésente. Malgré ses feuilles de fougères qui lui ont valu le nom de "Sweet Fern", c'est un petit arbuste de la famille des Myricacées. Les résidents de Montréal et de ses environs peuvent en voir au parc d'Oka où elle est considérée comme une plante rare. Je n'ai pas encore trouvé pourquoi on la dit voyageuse.
Le sorbier d'Amérique est une autre espèce très présente autour du lac

Quand on parle de Boréalie, on ne peut passer sous silence le pic à dos noir, un spécialiste des conifères qui, contrairement à la plupart des autres membres de sa famille, ne creuse pas le bois, mais préfère écorcer les troncs en glissant son bec sous les écailles d'écorce. Cette technique moins bruyante le rend plus difficile à repérer par les observateurs.

Et puis parfois, les promenades vous réservent des surprises.

Un panda roux songe aux forêts de bambous des montagnes de son pays natal sous le regard attendri des visiteurs du zoo de Saint-Félicien qui prend bien soin de mettre de l'avant sa mission de sauvegarde des espèces menacées pour justifier sa présence.

Au bord de la route (je n'en croyais pas mes yeux), des champs entiers de cannabis prêt à récolter, mais comme quasiment personne ne sait à quoi ressemble la plante avant de la fumer, le cultivateur n'a pas à craindre le pillage. Évidemment, c'est du "bio" et du "médical".   

De retour du Lac

Au Québec, quand on fait référence au Lac, on parle évidemment du lac Saint-Jean, ou Pekuakami en Innu. Avec ses 1050 km2 de superficie, ses 44 km de long et ses 24 de large, il n'est pourtant pas le plus grand lac naturel de la province; la première et la seconde place étant occupée par le lac Mistassini et le lac Wiyâshâkimî.

Le lac Saint-Jean occupe une vaste dépression qui prolonge le fjord du Saguenay et forme avec lui le graben du Saguenay. Le graben est une vallée au milieu du massif montagneux des Laurentides créée par un effondrement dont la cause, encore débattue, est probablement liée à l'activité tectonique qui a préludé à l'ouverture de l'océan Iapethus, il y a environ 600 millions d'années.

L'agriculture (les zones vert pâle sur la vue satellite) permet de visualiser la limite des terres arables correspondant au graben dont le centre est occupé par le lac St-Jean. La contre-partie est qu'il ne reste pas grand chose du paysage originel, car tout ce qui devait être défriché et cultivé l'a été. Au delà, ce sont les Laurentides, plus sauvages, mais pas a l'abri de l'exploitation forestière. Le lac se vide à l'est (à droite) par deux émissaires, la Petite et la Grande Décharge, qui alimentent le fjord du Saguenay (à l'extrême droite); tout le reste le remplit.

Je dois avouer que je n'ai pas "trippé" sur le paysage domestiqué des abords du lac: champs, usines polluantes, villages de bungalows de toute époque et de tout style, sans cachet, gros pick-up conduits par des casquettes pressées de se rendre à la "shop". Quand on naît là, on aime probablement son coin de pays, mais moi qui ne suis que de passage, j'ai préféré l'arrière-pays, celui des montagnes et des rivières rugissantes. 

Le lac vu de Racine-sur-le-Lac (5). On pourrait se croire au bord de la mer à marée basse si l'eau n'était pas douce

Le lac vu de Metabetchouan (4). Impressionnant, mais une goutte d'eau comparé aux Grands-Lacs

Les trois principaux affluents sont la Peribonka, la Mistassini et l'Ashuapmushuan qui débouchent dans le nord-ouest du lac après des parcours de 550, 200 et 300 kilomètres. Après avoir parcouru autant de distance, on pourrait croire que ces rivières se sont assagies. Mais non, ce sont encore des torrents impétueux et, par endroit,  infranchissables en canot.

Les chutes à l'ours de la rivière Ashuapmushuan (3)
En aval de la huitième chute de la Mistassini (2)

Un cas d'AKD ?

Le 5 août dernier, je photographiais cette sittelle à poitrine blanche dont la démesure et la courbure du bec avaient attiré mon attention. Auparavant, j'avais déjà observé des becs difformes, mais il s'agissait généralement de troncatures affectant la mandibule inférieure ou supérieure, et j'attribuais cet état à un accident ou à une malformation congénitale.

Dans le cas de cette sittelle (cela ne se voit pas sur la photo), la déformation était telle que les deux mandibules ne parvenaient plus à coïncider, la fermeture étant empêchée par la rencontre des extrémités, à la manière d'une tenaille. Depuis, la nature a trouvé une solution et la mandibule inférieure semble s'être brisée (voir la photo ci-dessous).  

J'en restais là, attribuant la chose à une tare génétique. Après tout, quand on ne sait pas ou quand on ne cherche pas à savoir, on peut toujours s'en remettre à un dieu, à l'ADN ou au hasard si on ne croit en rien. C'est ma blonde qui a forcé ma curiosité en attirant mon attention sur Nature et Environnement, un blog québécois qui se propose entre autres de documenter le phénomène au Québec. 


En le parcourant, j'appris l'existence de l'Avian Keratin Disease, une maladie infectieuse causée par le poecivirus qui infecte les tissus du bec. Cette maladie observée pour la première fois en Alaska dans une population de Mésange à tête noire (Poecile atricapillus) à la fin des années 90 a rapidement été détectée chez une dizaine d'autres espèces en Amérique du Nord d'abord, et ailleurs ensuite. Bien qu'il n'y ait encore aucune preuve de son émergence au Québec et qu'il existe bien d'autres causes de malformation des becs (accidents, maladie, contamination par des polluants), l'hypothèse d'une infection n'est pas à exclure dans le cas de cette sittelle.

Sources: