L'île de la Visitation humaine

À droite de la retenue: le niveau plus ou moins originel de la rivière des Prairies où viennent frayer les dernières aloses savoureuses qui remontent de l'océan et le lépisosté osseux. Au fond à gauche: le barrage hydroélectrique 

Il ne reste rien des rapides parsemés d'îlots de la Rivière-aux-Prairies. Juste une croix rappelant la mort de Nicolas Viel, missionnaire récollet, et de Ahuntsic, son compagnon d'aventure, qui s'y sont noyés le 6 juin 1625 en revenant de leur séjour chez les Hurons des Grands-Lacs. Tout a été englouti par la construction du barrage hydroélectrique, en 1925. 

Il ne reste pas grand-chose, non plus, de Sault-au-Récollet, un de ces villages qui ont fait le commencement du Québec; tout juste un nom de quartier de Montréal, une digue et quelques ruines de moulins.

Les ponts abritent parfois d'intéressantes galeries d'art.   

L'île de la Visitation animale

Bihoreau gris

Lorsque nous habitions à Montréal et que nous voulions voir des bihoreaux gris, nous nous rendions en fin de journée sur le petit pont qui mène à l'Île-de-la-Visitation. 

L'année dernière, les circonstances m'y ont ramené et ils sont toujours là. Peut-être y sont-ils depuis toujours, rêvant des temps meilleurs dépeints dans les vieilles histoires transmises de génération en génération. 

Marmotte commune
Grand héron
Hirondelle bicolore
Canards noirs
Bernaches du Canada
Pigeon biset

C'est officiel

Le printemps est arrivé avec les premiers carouges à épaulettes. L'année dernière, c'était le 11 mars.

L'île de la Visitation végétale

Érable de l'Amour

L'année dernière, j'ai redécouvert le parc nature de l'Île-de-la-Visitation sur la rive nord de Montréal, au bord de la rivière des Prairies disparues. J'ai trouvé qu'il avait bien vieilli et que la végétation exotique n'y était pas étrangère.

Érable de l'Amour toujours
Toit vert de mousse
Herbe à puce
Luzerne
Alliaire officinale et Syndrome de Stockholm
Consoude officinale
Coronille bigarrée
Herbe aux écus: une autre officinale

Le parc du Tremblay

Hier, nous nous promenions dans le boisé du Tremblay et constations la poursuite de sa transformation en un espace de moins en moins naturel. Après avoir ouvert des avenues pour les promeneurs de chien, planter des bancs pour y déposer des cannettes en aluminium ou des tags, reverdi les bas-côtés avec des végétaux pas toujours indigènes, on coupe aujourd'hui les frênes morts et, dans la foulée, quelques peupliers faux-trembles vivants.

Pour les frênes, c'est évidemment une question de sécurité, même si le tronc de certains tient dans ma main. Pour les autres, je ne sais pas, mais ce sont des vieux...et on n'aime pas les vieux. 

Pour parachever l'aménagement, on coupe les troncs au ras su sol pour être sûr qu'aucun animal xylophile ou "xylodépendant" ne les utilisera et on les réduit en paillis; ce qui ne devrait pas aider les tapis d'hépatiques, de claytonies et d'érythrones à se remettre du piétinement des bucherons et de leurs engins.

Curieuse humanité ! Hier, on se frôlait sans masque sans avoir peur d'attraper une maladie qui a fait 6 millions de morts dans le monde. Aujourd'hui, on a peur d'un arbre mort qui a toutes les chances de ne pas nous tomber dessus.

Tiens, en parlant de "xylodépendant", au cours de notre promenade, nous avons croisé l'épervier brun qui chasse régulièrement dans le jardin. Cela fait deux jours que la porte-fenêtre est secouée par ses attaques contre les tourterelles qui viennent se faire chauffer sur la terrasse. Avant-hier, nous avons eu le temps de le voir partir avec l'une d'entre elles. Ce coup-ci, il avait attrapé un tamia rayé.

Cliquez sur la photo et regardez ce que tient l'épervier

Et en parlant de tamia, il y a deux jours, à la même date que l'année dernière, j'ai pu apercevoir un de ceux qui habitent le jardin. Ce fut bref, le temps d'un aller-retour sous les mangeoires d'oiseaux, mais avant qu'il plonge à l'abri de la neige, j'ai eu le temps de l'identifier comme étant "grande-queue". Ça sent le printemps et nous commençons à penser à nos canards, car la date de leur arrivée approche.


Fruit ou légume ?

Les fruits sont des organes caractéristiques des plantes à fleurs (les angiospermes). Les mousses et les fougères n'en produisent pas; elles ne font même pas de graines (c'est dire comme elles sont peu évoluées). Quant aux conifères (les gymnospermes), ils font bien des graines, mais elles sont nues, sans fruit pour les protéger ou les disséminer.

Si l'on ne se fiait qu'à l'usage que l'on en fait, un fruit pourrait se définir comme un produit végétal comestible, souvent charnu et plus ou moins juteux, qui se distingue du légume par son goût sucré et par la place qu'il occupe dans notre alimentation. Ainsi, le concombre et la courge sont des légumes tandis que la pomme et la pêche sont des fruits. Quant aux noix, aux noisettes et autres produits comestibles et cassants, ce sont des fruits secs ... [ Lire la suite]

Un 5 mars sur le mont Saint-Bruno

Un bouquet de conifères à l'écart des coureurs, des fat bikes et des chiens, si on allait jeter un oeil, des fois que...une chouette rayée ferait le plein de vitamine D. 


Un peu de verdure dans un monde de brutes

Ce n'est pas parce qu'il va tomber 15 ou 20 cm de neige aujourd'hui que l'on n'a pas le droit de croire en l'arrivée des beaux jours. Je parle du printemps, pas de ceux où les hommes vivront d'amour. Ça, je n'y crois plus.

Et je peux vous donner deux preuves. Je ne parle pas de l'Ukraine, mais du printemps. D'abord, j'ai reçu la visite d'un démarcheur de graines de gazon qui a ouvert de grands yeux incrédules quand je lui ai dit que je n'en avais presque plus et que j'essayais de me débarrasser de ce qui reste.

Ensuite, mon agrume - je ne me rappelle plus quel pépin j'ai planté (citron, pamplemousse, orange, clémentine ou lime) - est en train de me faire un feu d'artifices de rameaux et de feuilles. Lui aussi est impatient de sortir dans le jardin. 

La germinomanie

Ceci n'est pas une nature morte

J'ai une manie: partout où je passe, je ramasse des fruits et des graines. À la fin de l'année, je les range dans des petites boîtes hermétiques dans lesquelles j'ai pris soin de placer un essuie-tout humide et je les place dans le bas de mon frigo avec l'intention de lever une potentielle dormance physiologique. 

Une fois dans l'hiver, je les sors pour les nettoyer et enlever d'éventuelles moisissures, et puis je les replace. 

Au printemps, je casse délicatement les noix et les noyaux les plus durs pour exposer l'amande (la graine) et lever une éventuelle dormance physique. Certaines enveloppes sont tellement étanches que ni l'eau ni l'air ne passent. Et après, je les sème.

De gauche à droite: Sorbier du Lac Saint-Jean, Hamamélis du Mont-Saint-Bruno, cerisier du Tremblay, Chêne rouge du Tremblay (brun pâle), Chêne à gros fruits de Notre-Dame-du Nord (brun foncé) et Caryer ovale du Tremblay.

Cette année, si tout se passe bien, j'aurais peut-être des médéoles de Virginie, des sorbiers d'Amérique, des hamamélis de Virginie, des chênes et des caryers ovales.

Escapade dans la Péninsule de Niagara

Si vous êtes amateurs de goélands ou de mouettes au point d'ergoter sur leur âge, alors vous avez sûrement déjà fait le pèlerinage à la Mecque des laridés; je veux parler de ce corridor de 56 kilomètres entre les lacs Érié et Ontario qu'est le Niagara. En automne et en hiver, des observateurs de tout le continent viennent y chercher l'improbable hybride ou l'espèce rare de l'Ouest perdue au milieu des milliers qui se rassemblent dans la région. Personnellement, il me reste tant de choses plus ordinaires à découvrir que j'ai du mal à approfondir un seul sujet et cette escapade dans la péninsule de Niagara était plus une occasion d'apprécier l'ensemble de l'œuvre que les détails.

Avant de partir, ma blonde avait noté, au cas où, quelques "points chauds" de la région pour l'observation des oiseaux, mais finalement, les surprises furent ailleurs.

La première fut à Niagara-on-the-Lake (Ici) sur la rive du lac Ontario à l'embouchure du Niagara. Sur des eaux étonnamment libres de glace flottaient plusieurs radeaux de Bernaches du Canada, de fuligules et de garrots de toutes sortes, et surtout de Macreuses à ailes blanches, et encore mieux de Hareldes kakawi(s). En quelques minutes, nous venions d'exploser notre nombre d'observations de cette espèce en passant de quelques doigts de la main à plus d'une centaine. 

Le lac Ontario vu de Niagara-on-the-Lake. À droite, sur la rive américaine, le Fort Niagara.

Un Harelde kakawi à portée d'objectif, mais peu coopératif. Ce canard plongeur passe son été sur les lacs de la toundra où il niche, En hiver, une partie de la population de cet oiseau circumpolaire vient hiverner sur les Grands Lacs. Il en est signalé quelques-uns, parfois, en hiver, sur le fleuve Saint-Laurent dans la région de Montréal, mais jamais dans de telles proportions.  

Le lendemain en remontant le Niagara vers le lac Érié, nous nous sommes mis en quête d'un accès au cours d'eau. Apparemment, une tempête de neige nous avait précédé de quelques jours et la route avait été dégagée en chassant la neige sur les bas-côtés, transformant les trottoirs, la Niagara Parkway Recreation Trail qui longe l'étroit espace entre la route et l'eau et la plupart des stationnements le long de la route en dépôts à neige. 

Nous avons quand même fini par trouver notre bonheur (Là) et un troglodyte de Caroline, un oiseau que plus personne ne regarde en Ontario, puisqu'il y est comme chez lui, mais qui pour nous est une observation rare. 

Bec long et recourbé, sourcil blanc net, flancs chamois et quelques autres petits trucs permettent de reconnaitre le troglodyte de Caroline. Depuis une dizaine d'années, il étend son territoire dans le sud du Québec au point d'y nicher et même d'y passer l'hiver. Si vous êtes Montréalais et chanceux, vous pourriez peut-être en rencontrer dans un parc de l'île.

Mais notre observation la plus inattendue fut celle de ces centaines de cygnes siffleurs tout au long du Niagara en amont des chutes (Et ici) jusqu'au lac Érié; un lac qui correspondait plus que le lac Ontario à l'image que je me faisais des Grands Lacs en cette saison.

Le cygne siffleur est un autre oiseau boréal qui vient hiverner dans la région des Grands Lacs. On le voit exceptionnellement au Québec lors de sa migration.
Le lac Érié vu de Crystal Beach Waterfront Park (Et là). Nous sommes sur l'eau.

Deux couleurs, quatre sexes

Le bruant à gorge blanche dans sa forme éclatante

Le bruant à gorge blanche (Zonotrichia albicollis) - vous savez, celui qui chante où es-tu Frédérique, Frédérique ? - est un oiseau commun, mais peu ordinaire. 

D'abord, l'espèce affiche deux types de plumage, et ce, indépendamment du sexe. C'est ce qu'on appelle des morphotypes et c'est une caractéristique qui existe chez d'autres espèces. On peut donc observer un morphotype "éclatant" caractérisé par des rayures blanches et noires très contrastées sur la tête et par une gorge blanche qui tranche sur la poitrine grise, ainsi qu'un morphotype "terne" aux rayures beiges et brun foncé et à la gorge moins contrastée. Ces deux formes vivent ensemble, dans le même habitat et dans des proportions à peu près équivalentes. 

La deuxième particularité est que la différence de plumage est associée à une différence de comportement. Les ternes sont plus enclins à la monogamie, plus attentifs à leur progéniture, moins agressifs et moins bons chanteurs que les "éclatants".

Le bruant à gorge blanche dans sa forme terne

Enfin la dernière particularité, et non la moindre puisque c'est la seule espèce chez laquelle on l'a observée jusqu'à présent, est que les individus d'une forme, quel que soit leur sexe, ne s'accouplent qu'avec les individus de l'autre forme. Autrement dit, madame et monsieur "éclatants" ne sont attirés que par les individus de sexe et de couleur opposés, et inversement. Il y a quand même quelques exceptions (1,5 % des couples sont de la même forme), mais qui s'expliquent généralement par l'absence de disponibilité de la forme opposée. 

Chez les bruants à gorge blanche, c'est un peu comme si la couleur définissait un autre sexe, portant à quatre le nombre de genres possibles: mâle/éclatant, mâle/terne, femelle/éclatante et femelle/terne; chaque individu ne pouvant s'accoupler qu'avec 1/4 des autres.

Chez les mammifères, le sexe est déterminé par la paire de chromosomes sexuels X et Y; la femelle étant XX et le mâle XY. Chez les oiseaux, ce sont les chromosomes W et Z qui déterminent le sexe; la femelle étant WZ et le mâle ZZ. 

Évidemment, la chose a intéressé les scientifiques, notamment la biologiste Elaina M. Tutle (†) et son mari Rusty A. Gonser. Soupçonnant une cause génétique, ils sont allés examiner le chromosome 2 des bruants connu pour héberger plusieurs gènes contrôlant le comportement des oiseaux et la couleur de leur plumage. Ils ont alors découvert que les bruants ternes avaient deux chromosomes 2 "normaux" (les chromosomes vont toujours par paires) tandis que les bruants éclatants avaient un chromosome 2 "normal" apparié à un chromosome 2 "muté". Cette mutation consiste en une inversion d'un long fragment de l'un des bras du chromosome (un chromosome ressemble un X avec quatre bras attachés en un point commun, le centromère). Comme les gènes (un millier environ) situés dans l'inversion s'expriment moins, il en résulte des différences de comportement et de couleur.

Le plus fascinant dans cette histoire est que le maintien du chromosome 2m dans la population est favorisé par le comportement d'accouplement croisé. Ainsi, lorsqu'un(e) terne (2/2) s'accouple avec un(e) éclatant(e) (2/2m), les lois de Mendel prédisent que leurs descendants seront: 2/2 (terne), 2/2m (éclatant), 2/2m (éclatant) ou 2/2 (terne), puisqu'un descendant reçoit un chromosome de chaque parent. En d'autres termes, à la naissance, les probabilités d'obtenir les deux morphotypes sont identiques: 50 % d'éclatants et 50 % de ternes.

En simplifiant à l'extrême, selon les lois de Mendel, un accouplement de ternes (2/2 X 2/2) donnerait 100 % de ternes.
Un accouplement d'éclatants (2/2m X 2/2m), pourrait donner 2/2, 2/2m, 2/2m, 2m/2m, mais les oisillons 2m/2m ne survivent quasiment pas à la nichée (0,15 % seulement des bruants sont 2m/2m, sans que l'on en connaisse vraiment les raisons). Les probabilités d'obtenir un terne sont donc d'environ 33 % et celle d'avoir un éclatant d'eviron 67 %.
Maintenant, si on suppose que tous les accouplements sont possibles (terne x terne, éclatant x éclatant et terne x éclatant) et ont la même chance de se produire (pas de préférences d'un type pour l'autre), la probabilité d'obtenir des ternes est de 64 % et celle d'obtenir des éclatants de 36 %, à la première génération.

Sources:
Tuttle, E et al. (2016). Divergence and functional degradation of a sex chromosome-like supergene. Current Biology, 26 (3), 344–350.
Arnold, C. (2016). The sparrow with four sexes. Nature, 539 (7630), 482–484.

Si la carotte m'était contée

La carotte cultivée (Daucus carota subsp. sativus) est à la carotte sauvage (Daucus carota subsp. carota) ce que le chien est au loup: le fruit, ou plutôt le légume, de longues années de sélection. Toutefois, contrairement au loup dont nous ne supportons pas la compétition et que nous avons tenté de faire disparaitre, la carotte sauvage, elle, a échappé à notre vindicte et nous a suivi discrètement dans tous nos déplacements, profitant de notre appétit pour sa congénère apprivoisée. Aujourd'hui, elle est présente sur tous les continents, à l'exception bien sûr de l'Antarctique. 

Souvent ignorée, la carotte sauvage est pourtant facile à reconnaître avec ses feuilles découpées et ses ombelles de petites fleurs blanches ponctuées au centre d'une unique fleur pourpre ou rose; ces mêmes ombelles se transformant une fois fanées en corbeilles brunâtres. Cet été, essayez d'en trouver une et quand vous penserez l'avoir trouvée, tirez sur la tige pour déterrer sa racine blanchâtre et sentez-la. Attention cependant à ne pas la confondre avec de la ciguë ou de la cicutaire, deux plantes de la même famille (les apiacées ex-ombellifères) qui lui ressemblent, mais ne vous laisseront aucune chance d'y regoûter.

La famille des apiacées compte environ 3820 espèces réparties dans 466 genres. Elle est présente sur tous les continents, mais est mieux représentée dans les régions tempérées de l'hémisphère nord. Le genre Daucus serait apparu dans les régions tempérées d'Eurasie; la plus grande diversité des espèces se trouvant dans le bassin méditerranéen. Quant à l'espèce Daucus carota, elle serait originaire de l'ouest de l'Asie. 

Comme pour le loup, la domestication de la carotte remonte à loin. Les premières traces archéologiques de son utilisation sont des graines de carotte sauvage trouvées sur des sites de campements vieux de 4500 ans (l'âge du bronze) en Suisse et dans le sud de l'Allemagne. À cette époque, la carotte n'était pas encore cultivée et on utilisait les graines comme épice ou comme médicament. Sa domestication s'est produite plus tard et ailleurs.

Contrairement à ce que l'on pourrait peut-être croire, le processus de sélection des carottes cultivées et d'autres légumes racines n'a pas pour but initial d'améliorer le goût, mais plutôt d'augmenter la productivité et la facilité de culture. Dans le cas de la carotte, cela signifie favoriser les plantes donnant une racine de grande taille sans ramifications latérales et encourager le comportement bisannuel. Le goût (teneur en sucre), la couleur, la forme et la résistance aux facteurs abiotiques sont venus après.
Favoriser le comportement bisannuel (un cycle de vie sur deux ans) de la carotte est important, car c'est au cours de la première année que la plante stocke dans sa racine les nutriments qui serviront à sa floraison l'année suivante. Une fois que la plante a fleuri, sa racine devient fibreuse et immangeable. Or, certaines carottes sauvages, sous les climats chauds, se comportent presque comme des annuelles. Leur floraison est tellement hâtive qu'elles ne développent pas de réserves importantes et ne sont donc pas intéressantes pour la consommation.   

Les premières preuves d'un maraichage de la carotte remontent au Xe siècle de notre ère, dans une région englobant l'Afghanistan, le Pakistan et l'Iran. À l'époque, la racine se déclinait en deux couleurs: pourpre et jaune. À partir du XIe siècle, elle commence son extension vers l'ouest: Turquie, Syrie, Afrique du Nord et Espagne, probablement propagée par les Arables au cours de leur conquête de l'Ouest. La préférence des populations occidentales se porte alors sur la couleur jaune, bien que l'on trouve aussi de la pourpre. Au XIVe siècle, elle atteint la France et l'Angleterre.

Mais la carotte est ambitieuse, elle veut dominer la planète et part à la conquête de l'est un peu plus tard, vers le XIIIe siècle, en commençant par l'Inde, la Chine pour finalement aboutir au Japon, au XVIIe. Autres lieux autres mœurs, dans ces régions, on préfère les pourpres et au XVIIIe, on crée même en Inde et en Chine des variétés franchement rouges. 

Mais revenons en Europe où à partir du XVIe siècle, le nombres de variétés explose: des blanches, des jaunes, des pourpres, des rouges et les premières carottes orange qui vont rapidement devenir populaires et supplanter les autres. D'ailleurs, les "orange" seront les premières à franchir l'Atlantique et à s'installer en Amérique du Nord où elles s'installeront inévitablement avec leurs inséparables congénères sauvages.
Le développement de la phylogénétique a permis d'écarter l'hypothèse selon laquelle la carotte sauvage aurait été introduite en Amérique du Nord au cours des premières migrations humaines en provenance d'Asie, il y a 18000 à 20000 ans. Les analyses génomiques montrent qu'il y a trop de ressemblances entre la carotte sauvage eurasienne et l'américaine pour une séparation aussi lointaine dans le temps. 

La conquête de l'Amérique du Sud, quant à elle, se fera plus tard, au XVIIIe, avec la découverte d'or dans le sud du Brésil qui attirera des émigrants de Hollande, d'Espagne et d'Allemagne transportant dans leurs bagages de quoi se nourrir et notamment la précieuse carotte.

L'apparition des carottes orange et l'engouement qu'elles ont suscité est encore une source d'interrogation et de discussion chez les scientifiques qui ont échafaudé toute sorte d'hypothèses non résolues à ce jour : (1) elles dériveraient directement des carottes sauvages, (2) elles résulteraient de l'hybridation entre une carotte cultivée et une sous-espèce méditerranéenne de carotte sauvage (Daucus carota subsp. maximus), (3) elles seraient le fruit d'une sélection à partir de variétés jaunes et (4) elles seraient issues de l'hybridation entre une variété européenne de carotte cultivée et la carotte sauvage. 

Concernant leur succès, certains pensent que la couleur orange aurait été un indicateur facilitant le travail de sélection ou de conservation des variétés par les maraichers. En effet, introduisez un gène sauvage dans une carotte orange (n'oubliez pas que les sauvages sont partout au bord des champs) et ses descendants seront blancs, faciles à repérer et à écarter. Par contre, le même phénomène chez les jaunes et les pourpres peut facilement passer inaperçu, se traduisant par des nuances de couleur qu'un jardinier, même non daltonien, peut manquer: un jaune moins jaune, un rouge moins rouge, etc. La conséquence serait alors la perpétuation d'une variété non désirée. Attention, cela reste une hypothèse, mais comment résister à une hypothèse aussi séduisante ?   

Généralement, la sélection des plantes par l'agriculture se traduit par un effet d'étranglement ou de goulot génétique; la diversité des gènes des plantes sélectionnées diminuant drastiquement comparée aux sauvages. Sauf chez la carotte cultivée qui continue à faire preuve d'une grande diversié génétique après tant d'années de manipulation. L'être humain aurait-t-il renoncé devant la difficulté à éliminer la sauvagerie de la carotte ou a-t-il compris l'intérêt qu'il y avait à les conserver ?     


Sources:

Simon P. W. (2000). Domestication, Historical Development and Modern Breeding of Carrot. Plant Breeding Reviews. 19.
Simon P. et al. (2019). The Carrot Genome. Compendium of Plant Genomes. Springer Nature Switzerland.
Iorizzo M. et al. (2013). Genetic structure and domestication of carrot (Daucus carota subsp. sativus) (Apiaceae). American Journal of Botany, 100 (5), 930–938.