Une histoire du boisé du Tremblay: les années 2000

Le roman-photo d'une friche agricole qui rêvait de devenir un refuge faunique et ne deviendra qu'un parc municipal, par quelqu'un qui aime la nature pour ce qu'elle est.

Les belles années

Les saisons passaient sur ces terres agricoles retournées à la sauvagerie. En une cinquantaine d'années, aubépines, chèvrefeuilles et cornouillers avaient pavé la voie aux peupliers et aux bouleaux venus combler l'espace entre quelques vieux frênes-jalons de rangs et les reliques de l'érablière à caryer et à sucre.

Le relooking

De l'avis des développeurs de l'économie à courte vue, cet abandon n'était ni tolérable ni rentable et il fallait absolument trouver un moyen de refaire du blé avec ces terres; c'est-à-dire asphalter, bétonner, vendre, louer et faire payer des taxes. Heureusement, la forêt pouvait compter sur Tommy Montpetit, un enfant qu'elle avait vu grandir et qui réussit, après de nombreuses années de lutte, à convaincre la ville qu'il fallait protéger le lieu et les créatures extraordinaires qui l'habitaient.  


Le retour de l'humanité

Pourquoi se contenter de protéger et de regarder pousser ? Think big et valorise. Ainsi fut-il et nous eûmes ce que nous méritions: des pistes multifonctionnelles, des bancs, de la compensation carbone (plus valorisant que de replanter des arbres qu'on a coupé), des chiens, des vélos, des joggeurs et des stationnements pour les accueillir.

  

Bredouilles et frigorifiés

Cette nyctale a été photographiée au parc Michel-Chartrand (Longueuil) l'année dernière. Celle du parc de la frayère ne passera pas à la postérité; elle dormait la tête sous une aile, rien ne justifiait que je la dérange et je me suis éclipsé discrètement.

Il ne faisait pas chaud hier matin au parc de la Frayère au bord du fleuve à Boucherville, mais je voulais montrer à ma blonde la petite Nycatle que j'y avais repérée la veille. Nous ne nous faisions pas trop d'illusions: une nyctale, c'est petit, ça vole, ça chasse la nuit, ça dort le jour et comme ça n'aime pas être dérangé pendant son sommeil, ça se cache pour dormir.  

Thuyas qui débordent de leur pot ou en haies, l'arboretum Stephan-Langevin (Boucherville) n'a pas toujours été un parc municipal.

Nous avons donc visité les cachettes probables de la Nyctale, les thuyas et les enchevêtrements de vigne, et cherché des indices de sa présence, des pelottes de réjection et des fientes au sol ou sur les branches basses. Rien, à part la "foule" des résidents habituels: une troupe de merles courageux, des cardinaux, des mésanges et des sittelles habituées à se faire nourrir par les visiteurs.

Cette sittelle à poitrine blanche me harcelait pour être prise en photo.
Même chez les cormorans à aigrettes, il y a des ados rebelles et peu frileux.  

Une pic boit

Alors que certains cherchent à passer un marché de dupes avec la biodiversité, d'autres la montrent pendant qu'il est encore temps. Mais ce n'est rien à côté de la vivre; allez voir dehors ce qu'il en reste !

L'intelligence au service du gazon

En banlieue, vous savez à quel point on aime nos pelouses. Au printemps, on les resème et on les engraisse. En été, on les tond et on les arrose de pesticides. Et depuis une dizaine d'années, dans mon quartier, en automne, on les abrille pour les protéger des sels de déglaçage. 

Ça ne sert à rien, c'est juste drôle.

Créez votre proverbe

À partir de la fin décembre, on a toujours une petite troupe de cerfs de Virginie qui passe ramasser les graines tombées des mangeoires.  Cette année, cela fait une semaine que nous avons commencé à les voir. Mais comme on dit: "Cerfs aux mangeoires, neige à pleuvoir" à moins que ce soit "Cerfs aux mangeoires, gel à prévoir".

C'est écrit dans la marge

L'année dernière, à peu près à la même époque, je manifestais avec quelques résidents du quartier pour arrêter des travaux visant à faire passer un boulevard dans un milieu protégé. Nous réussîmes à faire stopper le projet, mais pas à empêcher la destruction du milieu.

Comme il était vaguement question de contraindre le promoteur à restaurer le milieu, j'y suis retourné récemment pour constater l'état des lieux sans trop me faire d'illusion. 

Sans surprise, rien n'a changé après un an. L'artificialisation des sols a été telle que même la végétation a du mal à recoloniser l'endroit. Quant à la faune, celle qui a survécu, on pourrait croire qu'elle a fui. Pourtant, si on s'affranchit du cadre et des perspectives où la rectitude s'impose et si l'on sort du sentier battu pour s'attarder dans la marge, la vie est là, à l'état de traces.

Dans les fossés, il y a souvent un peu de boue pour retenir les pas.   
Ici, probablement un raton laveur 
Et là, un cerf de Virginie avec les deux doigts du sabot surmontant les deux ergots. 

La routine

La routine hivernale s'installe, même si nous n'y sommes pas encore. Cette année, les mangeoires attirent deux mésanges bicolores en plus de la faune habituelle; elles vont probablement passer l'hiver ici. Bien qu'on en compte un peu plus chaque année, cette mésange est encore considérée comme une rareté dans le sud du Québec et la plus proche pour nous jusqu'à cette année était celle du refuge faunique Marguerite d'Youville. Comme le et les temps changent, il nous suffit aujourd'hui de regarder par la fenêtre pour espérer la voir. Farouches, elles viennent du fond du bois, piquent une graine et s'en retournent. 

Autres visiteurs réguliers, deux éperviers, un adulte "de Cooper" (celui de la photo) et un juvénile "brun", qui viennent se poster à côté des mangeoires pour les mêmes raisons que les autres, mais pas avec le même régime. 

On peut quand même se réjouir de toute cette activité qui est un signe de la vitalité du boisé du Tremblay. Si seulement, on pouvait le laisser se gérer lui-même et limiter nos interventions au strict minimum (voir le billet précédent).

Ces arbres qui font peur

Maintenant que l'agrile du frêne est passé sur le boisé du Tremblay, il faut sécuriser les lieux. Cela revient à couper tous les arbres morts au pied, sur une bande d'une quinzaine de mètres de chaque côté d'un chemin déjà trop large. Et puisqu'on s'est donné une mission de gestion et de valorisation de ce milieu qui n'en demandait pas tant, on coupe par la même occasion toutes les autres essences qui penchent du mauvais côté ou qui ont pour seul défaut d'être trop gros et trop vieux. Bref, après avoir installé des bancs (mais pas de poubelles) et des bornes d'appels d'urgence (tout en autorisant la chasse) pour procurer aux passants un faux sentiment de sécurité, on continue à transformer le boisé en un jardin pour vieux enfants insécures.

Si je reviens sur le sujet pour la énième et dernière fois, c'est parce que je me suis toujours demandé quel risque réel faisait courir ces arbres morts aux promeneurs et que j'ai enfin pu trouver quelques éléments de réponse. En faisant une brève recherche dans Google Scholar avec les mots-clés: "falling tree", "fatalities" et "injuries", on trouve quelques études sur le sujet. Après avoir écarté celles qui portent sur les accidents de travail en foresterie et les accidents non-professionnels causés par l'entretien d'un arbre, il n'en reste que très peu; ce qui, en soi, peut constituer un indice sur le risque. Je me contenterai de citer quelques chiffres. 

En Australie, Andrew Brookes s'est intéressé aux accidents mortels causés par des arbres au cours d'activités scolaires extérieures. Entre 1960 et 2007, sur 128 décès enregistrés, 14 (au cours de 8 évènements différents) étaient attribuables à une chute d'arbre: 50 % étaient dus à des mauvaises conditions météorologiques et 50 % se sont produits alors que les victimes étaient dans leur tente. 

Aux États-Unis, Thomas W. Schmidlin s'est focalisé sur les chutes d'arbre causées par le vent et a recensé 407 morts entre 1995 et 2007, soit 1 mort par an et par tranche de 9 millions d'habitants. 44 % des victimes ont été tuées dans leur véhicule, 38 % à l'extérieur et 18 % dans leur foyer (maison, mobil-home ou autres). 

Au Royaume-Uni, au cours de la décennie 1998-2008, David J. Ball et John Watt ont dénombré 54 morts et 22 blessures graves causées par la chute d'un arbre ou d'une branche. 59 % des cas se sont produits sur une voie de circulation et impliquaient un véhicule; les autres ont eu lieu dans un jardin privé, une forêt, un parc ou une aire de jeu. Dans 64 % des accidents, les vents soufflaient à plus de 75 km/h. Avec une population moyenne de 60 millions d'habitants au cours de cette décennie, ces chiffres signifient que, chaque année, un(e) anglais(e) sur 8 millions environ court le risque d'être gravement blessé(e) ou tué(e) par un arbre.   

Dans cette dernière étude, les auteurs arrivent à la conclusion que "les décès et les blessures graves causés par les arbres sont rares au Royaume-Uni. En outre, il y a peu de chances que le nombre de cas puisse être réduit de manière significative sans des mesures strictes qui pourraient elles-mêmes causer d'autres formes de dommages à l'environnement ou à la main-d'œuvre. "

Allez savoir pourquoi ces bouleaux gris ont été coupés. 
Pas de jaloux, on coupe aussi les peupliers faux-trembles

Pour résumer, s'il fallait vraiment trouver des raisons de s'inquiéter, on pourrait prétendre que circuler dans une automobile sur une route bordée d'arbres ou dormir dans une tente plantée au pied d'un arbre mort par journée de grands vents présente un certain niveau de risque. Rien de comparable, toutefois, avec les dangers que nous courons quotidiennement. En fait, selon les gestionnaires de risque, l'abattage préventif des arbres serait plutôt motivé par la crainte, de la part des propriétaires de terrain boisé, de la poursuite judiciaire et de ses coûts en cas d'accident (voir les références ci-bas) que par un réel souci de sécurité.

Pour clore le sujet, je rappellerai qu'un arbre mort est utile. Et si on ne peut faire autrement que de le couper, peut-être pourrait-on envisager des méthodes plus respectueuses de l'environnement comme par exemple couper un peu moins court de façon à laisser les espèces animales qui nichent ou s'abritent dans les cavités des troncs continuer à le faire.

Sources: 

  1. Ball, D. J. & Watt, J. The risk to the public of tree fall. Journal of Risk Research 16, 261–269 (2013).
  2. Schmidlin, T. W. Human fatalities from wind-related tree failures in the United States, 1995–2007. Nat Hazards 50, 13–25 (2009).
  3. Brookes, A. Preventing death and serious injury from falling trees and branches. Journal of Outdoor and Environmental Education 11, 50–59 (2007).
  4. Bennett, L. Trees and public liability—Who really decides what is reasonnably safe? Arboricultural Journal 33, 141–164 (2010).

Si vous connaissez Sci-Hub (qui tentent de redonner l'accès gratuit aux résultats des recherches financées par l'argent public) et ses extensions pour navigateurs internet , vous n'aurez pas de mal à trouver l'article manquant.

Un 16 novembre à Longueuil

Il faudrait que je pense à sortir mes mitaines, ma tuque, mes bas longs et mes collants, à faire poser mes pneus d'hiver et à sortir mes pelles à neige. 

Faucons du Québec

Les faucons (famille des falconidés) sont des oiseaux de proie faciles à identifier, d'autant plus qu'il n'existe que 4 espèces dans tout le Canada et à peine plus dans le reste de l'Amérique du Nord.

De ces quatre espèces, le faucon gerfaut (Falco rusticolus), le plus grand de la famille, a peu de chances d'être observé dans le Québec méridional puisqu'il vit dans les régions arctiques et subarctiques de la planète et ne descend qu'exceptionnellement et seulement en hiver dans le sud de la province.

Par conséquent, l'observateur du sud a plus de chance de rencontrer un des trois autres membres de la famille qui sont par ordre de probabilité croissant:  le faucon pèlerin (Falco peregrinus), le faucon émerillon (Falco columbarius) et la crécerelle d'Amérique (Falco sparverius). Tous peuvent être vus en ville, mais surtout pendant les beaux jours, car ce sont des migrateurs.  

Ces trois espèces se distinguent des autres rapaces diurnes par une barre foncée verticale qui part de l'œil et descend sur la joue comme un favori (rayure malaire). En vol, on les reconnait facilement au profil de leurs ailes déployées qui ont un contour triangulaire, contrairement aux ailes des autres rapaces qui sont plutôt rectangulaires. 

La crécerelle d'Amérique, à peine plus grosse qu'un merle ou qu'une tourterelle, est le plus petit des faucons et le plus coloré. Traits distinctifs: joue pâle barrée par un double favori (sous l'œil et derrière), ailes gris-bleu, dos roux (la femelle est complètement rousse). On la trouve perchée en hauteur sur un élément du paysage (arbre, poteau, câble électrique ou bâtiment) qui surplombe un espace ouvert, à partir duquel elle guette ses proies. C'est aussi une adepte du vol stationnaire.
Le faucon émerillon a une taille équivalente à la crécerelle, mais il est beaucoup plus terne. Traits distinctifs: plumage du dos et des ailes monochrome, brun-gris foncé, joue foncée traversée par un favori plus diffus. Il se comporte comme la crécerelle, mais a une préférence pour les lisières. 
Le faucon pèlerin est le plus gros des trois avec une taille équivalente à celle d'une corneille. Traits distinctifs: plumage du dos et des ailes monochrome, gris-bleu, favori large et presque noir. Il chasse en vol en piquant sur ses proies et niche de préférence dans les falaises. Dans les villes, il s'installe sur les saillies des gratte-ciels ou des ponts.  

Un 26 septembre sur l'Île du Collège

En suivant une route au hasard, il se peut que l'on franchisse un gué et que l'on se retrouve au beau milieu d'une île du lac Témiscamingue à échanger un regard avec une crécerelle d'Amérique. 

Technicienne d'Hydro-Québec

Cette semaine, nous avons eu la visite de madame Grand pic (front noir plutôt que rouge vif) probablement curieuse de toute cette agitation causée par les mangeoires.

320 millions d'années les séparent

Baie de Fundy vue du cap Enragé

Nouveau-Brunswick, an de grâce 2022, nous avons atteint le Cap Enragé et surplombons la Baie de Fundy qui s'ouvre devant nous vers le sud-ouest et le large. De l'autre côté, c'est la Nouvelle-Écosse.

Pour rejoindre le pied de la falaise, nous suivons la faille que d'autres ont empruntée avant nous, comme en témoigne l'inukshuk à notre droite. La marée est basse et nous en profitons pour examiner les éboulis à la recherche de traces d'une vie passée.

Il y a 320 millions d'années, à l'époque du carbonifère, nous aurions marché sur l'équateur, au cœur de la Pangée, dans l'un de ces vastes bassins marécageux enclavés entre les Appalaches et la chaine hercynienne, plus précisément les Mauritanides. Nous aurions progressé sous le couvert d'une forêt dans laquelle les conifères récemment apparus se disputaient la place avec des fougères géantes et des prêles gigantesques. Peut-être aurions-nous croisé l'un des premiers tétrapodes. 

De cet âge d'or du règne végétal, il ne reste aujourd'hui que du charbon et quelques fragments pétrifiés qui nous racontent leur histoire et alimentent notre imaginaire.

Ci-dessus, des fragments de calamites, un proche parent disparu des prêles que l'on peut voir ci-dessous et qui ont conservé cette tige segmentée si caractéristique. À cette époque, les plantes à fleurs n'existaient pas et la reproduction se faisait principalement par des spores. La graine avait été récemment inventée par les gymnospermes dont font partie les conifères, mais pas le fruit qui la recouvre et qui est une invention des plantes à fleurs. 
Chez les prêles, ce que l'on prend pour des feuilles sont en fait des rameaux. Les véritables feuilles sont ces petites écailles soudées entre elles qui forment un manchon à la base de chaque segment de la tige ou des rameaux. 

Lignes de fuite

Tant qu'il y aura des arbres, il y aura de l'or à en pleuvoir, le bruissement des feuilles sous nos pas et des ombres pour les guider. C'est quoi déjà la chanson qui parle de la beauté du monde ?