Nous roulions sur la 295 à mi-chemin entre Trois-Pistoles et le parc national du Lac-Témiscouata, notre destination. La route était agréable; nous abordions une section fraîchement refaite. De part et d'autre de l'asphalte, la végétation ordinaire des accotements avait été effacée par un remblais de gravier tout neuf.
Mon attention fut attirée par une plante à fleurs bleues, buissonnante et grisâtre, qui résistait ou était déjà partie à la reconquête du désert. "Tiens, de la vipérine !" fut la première chose qui me vint en tête. À part en Europe d'où elle est originaire et où elle est commune, je ne l'avais vue qu'une fois de ce côté-ci de l'Atlantique; je crois bien que c'était au parc Thomas Chapais, à Montréal. Dans la flore Marie-Victorin, on peut lire qu'elle est occasionnelle au Québec. C'est bien le cas.
Comme nous étions quand même 350 kilomètres plus au nord et dans les contreforts des Appalaches, il fallait que je m'arrête pour en avoir le cœur net. Avertissement, coup de frein, marche arrière, portes qui claquent et plus de doute, il n'y en pas deux comme elle avec ses grappes de fleurs unilatérales. Il parait qu'elle doit son nom à la forme de ses fruits qui rappellerait la tête d'un serpent; je n'ai jamais vérifié. Dans le temps, on l'utilisait contre les morsures de vipères, probablement en vertu de la Théorie des signatures. Aujourd'hui, elle est tombée en désuétude et c'est probablement mieux ainsi, car elle contient des alcaloïdes toxiques pour le foie.
À première vue, ces vipérines étaient venues par la route. Il n'y en avait que sur les nouveaux bas-cotés, nulle part ailleurs. Les graines amenées avec les graviers auront trouvé les conditions favorables pour germer. Je me demande si elles passeront l'hiver. Il faudra que nous revenions.