Jusqu'à récemment, si vous m'aviez demandé quelle espèce d'amphibiens menacée justifie que l'on protège le boisé Du Tremblay, je vous aurais répondu la rainette faux-grillon de l'Ouest (Pseudacris triseriata).
Eh bien, je me trompais et je vous répondrai dorénavant la rainette faux-grillon boréale (Pseudacris maculata). Pour ma défense, il faut préciser que les deux espèces sont indiscernables à première vue et que je ne faisais que répéter ce qu'on lit partout, même dans la littérature scientifique récente.
Mais voilà, les connaissances scientifiques évoluent avec les techniques d'analyse et l'ADN a remplacé le rapport T/SVL.
Le rapport T/SVL est calculé en divisant la longueur du Tibia par la distance entre le museau (Snout) et l'orifice du cloaque (Vent). Ce rapport est en moyenne de 42,6 chez P. triseriata et de 39,3 chez P. maculata, avec un chevauchement des valeurs extrêmes.
Jusqu'en 2003, on pensait que la rainette faux-grillon boréale était complétement absente du Québec. Jusqu'à ce qu'une équipe de l'entreprise FORAMEC la découvre autour de la baie de Rupert (Jamésie, Québec) lors d'une étude d'impact du détournement de la rivière Rupert par Hydro-Québec (voir ici).
C'est en se basant sur une mention non vérifiée et en faisant jouer des enregistrements des chants de la grenouille que l'espèce fut découverte.
Puis en 2007, une étude américaine portant sur l'ADN des populations de rainettes faux-grillons permet de redessiner la carte de distribution des différentes espèces. Elle confirme également que la faux-grillon boréale est présente dans le sud de l'Ontario et suggère que les populations de faux-grillons de l'Ouest du Québec méridional pourraient avoir été mal identifiées.
En 2015, une équipe de chercheurs québécois se penche sur la question. Ils inventorient des sites du sud du Québec connus pour héberger la faux-grillon de l'Ouest (notamment le boisé du Tremblay) en utilisant des enregistrements sonores des deux espèces. Première constatation, seules les faux-grillons boréales répondent aux appels. Ils prélèvent ensuite des échantillons d'ADN, qui, après analyse, confirment qu'ils appartiennent bien à des rainettes faux-grillons boréales.
Pour la première fois,
ces travaux apportent la preuve que les populations de faux-grillon du Québec méridional ont été mal identifiées. Les chercheurs expliquent cette erreur par une diminution du rapport T/SVL dans une population locale et isolée qui a continué malgré tout à évoluer.
Est-ce que cette découverte change quelque chose à la protection de ces grenouilles et des milieux qui les hébergent ? Absolument pas et au contraire, étant donné l'isolement et la fragilité de ces populations de faux-grillon boréale, et de la quantité d'informations scientifiques qu'elles peuvent fournir sur leur biologie, leur évolution et la dynamique de leur population.
Sources:
Lemmon, E. M., Lemmon, A. R., Collins, J. T., Lee-Yaw, J. A., & Cannatella, D. C. (2007).
Phylogeny-based delimitation of species boundaries and contact zones in the trilling chorus frogs (Pseudacris). Molecular Phylogenetics and Evolution,
44(3), 1068–1082.
Rogic, A., Tessier, N., Noël, S., Gendron, A., Branchaud, A., & Lapointe, F. J. (2015).
A “trilling” case of mistaken identity: Call playbacks and mitochondrial DNA identify chorus frogs in Southern Québec (Canada) as Pseudacris maculata and not P. triseriata.
Herpetological Review,
46(1), 1–7.
Dubois-Gagnon, M. P., Bernatchez, L., Bélisle, M., Dubois, Y., & Mazerolle, M. J. (2021).
Distribution of the boreal chorus frog (Pseudacris maculata) in an urban environment using environmental DNA.
Environmental DNA, (May), 1–13.
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