Ce matin, il y avait deux pistes dans la neige devant la porte: celle du raton laveur qui était venu faire la tournée des poubelles pendant la nuit et celle d'un lapin à queue blanche qui vient régulièrement tailler les branches les plus basses de notre faux-cyprès de Nootka (Chamaecyparis nootkatensis).
Un 3 décembre dans le Boisé du Tremblay
Cela faisait un moment que j'avais envie d'aller voir le fameux passage faunique construit sous le futur et feu prolongement du boulevard Béliveau pour permettre soi-disant le passage des rainettes faux-grillons boréales. "Soi-disant", car on a appris plus tard que la ville de Longueuil avait aussi prévu de laisser construire des unités d'habitations de chaque côté du boulevard; ce qui aurait probablement mis fin à la rainette dans le secteur.
Mais tout ça est révolu, les défenseurs du boisé ont fini par faire entendre raison aux décideurs et tous les travaux ont été abandonnés.
En gris, la zone marécageuse; en blanc, le tracé du boulevard |
Tout cela a couté un peu plus de deux millions. Depuis, la mairesse qui a approuvé les travaux a été remplacée. Le directeur général, celui qui "sous l'autorité du comité exécutif, est responsable de l'ensemble de l'administration de la Ville, dont il planifie, organise, dirige et contrôle les activités" (sic le site internet de Longueuil), est toujours en place et les défenseurs du boisé réclament à juste titre la restauration des lieux, ou ce qui s'en approche le plus, dans l'éventualité où la rainette faux-grillon boréale aurait survécu à ces travaux. Mais ça, nous le saurons que le printemps prochain en tendant l'oreille.
Rainette faux grillon de l'Ouest ou boréale ?
Jusqu'à récemment, si vous m'aviez demandé quelle espèce d'amphibiens menacée justifie que l'on protège le boisé Du Tremblay, je vous aurais répondu la rainette faux-grillon de l'Ouest (Pseudacris triseriata).
Pseudacris triseriata par Pfinge at French Wikipedia., CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons |
Eh bien, je me trompais et je vous répondrai dorénavant la rainette faux-grillon boréale (Pseudacris maculata). Pour ma défense, il faut préciser que les deux espèces sont indiscernables à première vue et que je ne faisais que répéter ce qu'on lit partout, même dans la littérature scientifique récente.
Mais voilà, les connaissances scientifiques évoluent avec les techniques d'analyse et l'ADN a remplacé le rapport T/SVL.
Le rapport T/SVL est calculé en divisant la longueur du Tibia par la distance entre le museau (Snout) et l'orifice du cloaque (Vent). Ce rapport est en moyenne de 42,6 chez P. triseriata et de 39,3 chez P. maculata, avec un chevauchement des valeurs extrêmes.
Jusqu'en 2003, on pensait que la rainette faux-grillon boréale était complétement absente du Québec. Jusqu'à ce qu'une équipe de l'entreprise FORAMEC la découvre autour de la baie de Rupert (Jamésie, Québec) lors d'une étude d'impact du détournement de la rivière Rupert par Hydro-Québec (voir ici).
C'est en se basant sur une mention non vérifiée et en faisant jouer des enregistrements des chants de la grenouille que l'espèce fut découverte.
Pseudacris maculata par Tnarg 12345 at English Wikipedia., CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons |
Puis en 2007, une étude américaine portant sur l'ADN des populations de rainettes faux-grillons permet de redessiner la carte de distribution des différentes espèces. Elle confirme également que la faux-grillon boréale est présente dans le sud de l'Ontario et suggère que les populations de faux-grillons de l'Ouest du Québec méridional pourraient avoir été mal identifiées.
En 2015, une équipe de chercheurs québécois se penche sur la question. Ils inventorient des sites du sud du Québec connus pour héberger la faux-grillon de l'Ouest (notamment le boisé du Tremblay) en utilisant des enregistrements sonores des deux espèces. Première constatation, seules les faux-grillons boréales répondent aux appels. Ils prélèvent ensuite des échantillons d'ADN, qui, après analyse, confirment qu'ils appartiennent bien à des rainettes faux-grillons boréales.
Distribution de Pseudacris maculata par Cephas, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons |
Est-ce que cette découverte change quelque chose à la protection de ces grenouilles et des milieux qui les hébergent ? Absolument pas et au contraire, étant donné l'isolement et la fragilité de ces populations de faux-grillon boréale, et de la quantité d'informations scientifiques qu'elles peuvent fournir sur leur biologie, leur évolution et la dynamique de leur population.
Sources: