En se promenant dans les bois nord-américains, entre mai et juin pour le Québec, on peut tomber sur le spectacle étrange et éphémère de ces groupes de filaments blanchâtres de plusieurs centimètres faisant des boucles à la surface du sol.
Autant dire tout de suite que ce ne sont pas des racines et qu'il est inutile de tirer dessus pour éclaircir le mystère de leur origine ; la plupart sont solidement ancrés dans l'humus. Toutefois, en y regardant de plus près, il est possible de trouver une des extrémités renflées du filament avant qu'elle ne s'enfouisse.
Sur cette photo, on peut deviner les renflements ovoïdes à l'extrémité inférieure des deux filaments de gauche et celui à l'extrémité supérieure du filament central. |
Pour identifier la plante responsable de ces structures, il faut chercher ses feuilles autour. S'il en reste, vous reconnaitrez facilement leurs marbrures brunâtres caractéristiques. Si vous passez trop tard, elles auront disparu, car la plante fleurit tôt et fane avant la fin du printemps. Dans ce cas, sachez que ces filaments sont la méthode non sexuée utilisée par l'érythrone d'Amérique pour se reproduire. Ces organes, considérés comme des stolons(*), sont émis en nombre variable par le bulbe d'une plante immature et infertile. Dépourvus de géotropisme et donc incapables de s'orienter selon la gravité, ils croissent dans toutes les directions. Certains atteignent la surface puis se réenfouissent. Lorsque la croissance des stolons s'achève, un bulbe se forme à leur extrémité. Remarquez, c'est peut-être le contraire qui se produit, le développement du bulbe stoppe la croissance du stolon. Toujours est-il que le printemps suivant, ces nouveaux bulbes produiront une feuille unique à quelques centimètres de la plante mère.
(*) Un drageon est une tige se développant à partir d'un bourgeon souterrain, ou turion, qui s'est formé sur une racine. Un stolon est une tige aérienne, rampante ou suspendue, se développant à partir du bourgeon située à la base d'une tige. Dans les deux cas, ces tiges vont s'enraciner et donner naissance à une nouvelle plante qui aura un bagage génétique identique à la plante mère; un clone en d'autres termes.
Cette multiplication végétative, par opposition à la reproduction sexuée utilisant les fleurs, explique pourquoi l'érythrone peut rapidement former de grandes colonies. En effet, chaque printemps, pendant les quatre à cinq ans nécessaires pour atteindre sa maturité sexuelle et commencer à faire ses fleurs, le jeune bulbe va émettre des stolons qui à leur tour produiront de nouveaux bulbes, et ainsi de suite.
Cette façon de faire explique également pourquoi, dans une colonie d'érythrone, on peut trouver beaucoup plus de plantes immatures à une feuille et sans fleur que de plantes matures à fleurs et à deux feuilles.
Pour connaître les détails:
- F. H. Blodgett, « The Origin and Development of Bulbs in the Genus Erythronium », Botanical Gazette, vol. 50, no 5, p. 340‑373, nov. 1910.
- F. H. Blodgett, « Vegetative Reproduction and Multiplication in Erythronium », Bulletin of the Torrey Botanical Club, vol. 27, no 6, p. 305‑315, 1900.